La course après le mariage.





Ils couraient maintenant comme des fous. Ils couraient, couraient, couraient. Leurs talons claquaient sur la route assombrie par les arbres. Une fois arrivés à l’église, ils contournèrent le terrain de boules et prirent la route qui descendait en lacets. L’adrénaline commençait à faire son effet quand le premier dit : « Putain lambin, grouille-toi, ‘vont nous retrouver. » Lui n’avait pas de mal à progresser car il connaissait bien l’endroit. Sa grand-mère avait eu une maison plus bas. Quand elle vivait encore chez elle, ils allaient à la messe de noël en passant par ici. Tout ça formait de bons souvenirs… mais bon, l’heure n’était pas à la rétrospective. Arrivé au virage en épingle, il décèlera un petit peu. Ils avaient déjà pris de l’avance et son ami commençait à faiblir. Depuis quelques minutes, il ressentait une douleur à l’abdomen et son souffle était de moins en moins régulier. Son visage était rouge écarlate. « Allez dépêche mec. Quand on sera à la forêt, on aura fait notre sport pour la semaine ! » Ils continuèrent à courir 200 à 300 mètres avant d’entendre des moteurs en arrière-fond. Au jugé, les voitures devaient être à trois ou quatre virages plus haut. Alors, les adolescents obliquèrent sur le côté en se hissant sur un portail en fer forgé. En retombant sur le gravier, ils s’adossèrent au mur. Les voitures passèrent sans s’arrêter et peu à peu, ils retrouvèrent leur souffle : « J’ai cru que j’allais crever. Franchement, j’ai vraiment cru que j’allais crever. Tu crois que c’était eux ? 
- Je sais pas. Je pense pas. Ils nous ont peut-être pas suivi. A mon avis, ils sont retournés danser. »

Devant eux, ils s’attendaient à voir les contours d’une propriété quelconque, mais ils n’y voyaient pas grand-chose. Il était pourtant évident que l’endroit n’était pas laissé à l’abandon. L’herbe était coupée nette et les parterres bien entretenus. Ils se levèrent pour prendre le chemin de pierre qui descendait vers la droite. Ils marchèrent un moment avant de s’arrêter brusquement. Des aboiements étouffés apparurent ainsi qu’une étrange construction, qui ressemblait à un temple romain. Derrière ses colonnes, deux personnes au moins se tenaient debout. Il était difficile de dire si c’étaient des femmes ou des hommes. Néanmoins, l’une d’elle semblait roulée dans un voile blanc. Tout était calme quand le plus petit chuchota : « C’est quoi ça ? Qu’est-ce qu’ils font ici en pleine nuit, c’est des Jéhovah ou quoi ? » L’autre s’était décalé et agenouillé pour ramasser quelque chose. En revenant, il souriait. « T’es con ou… T’as pas vu les moutons à côté, ils bougent pas. Je suis sûr que si je les caillasse, ils bougeront pas non plus. Regarde. » Effectivement, quand les cailloux ricochèrent sur le dos des moutons, personne ne bougea. Ils s’avancèrent donc de plus près pour observer la scène. Le chemin de pierre contournait les statues, formant une sorte de U, autour d’une fontaine qui s’écoulait doucement. La Vierge Marie leur tournait le dos, la main tendue vers une autre femme : une jeune paysanne placée en retrait.

Ils s’allongèrent sur un coin d’herbe alors que le ciel tournait au-dessus d’eux. Et même si l’alcool se faisait encore ressentir, il était temps de faire le point.
«  Tu crois qu’ils vont appeler les flics ? demanda le petit.
- Pas cette nuit, non, je pense pas, répondit le plus âgé.
- N’empêche que je m’étais jamais trouvé dans un mariage aussi merdique. On a bien fait de se tirer. Dès que la pièce montée est arrivée, j’ai senti que ça tournerait mal. T’as vu les hélices du moulin sur le gâteau ? Une croix gammée, c’était juste une immense croix gammée. Pourquoi personne n’a réagi ?
Il y eut un silence.
- Parce qu’on était entouré de cons, trancha l’autre ».

Ils allèrent arroser les arbustes un peu plus bas tout en continuant à parler du mariage. Les moutons n’avaient pas bougé et la Vierge regardait toujours dans la même direction. Ils pouvaient continuer à discuter tranquillement. : « T’as vu la tête de la mariée avec sa robe tâchée ?
- Ouais, bah, elle aurait juste dû ne pas pinailler sur l’alcool.
- C’est vrai, une vraie bande de rapiats. »

Il était minuit passé depuis longtemps quand ils arrivèrent en lisière de forêt. Les bois ressemblaient à peu près ce que devait voir Ray Charles placé dans un tunnel. Un œil noir traversé par le vent. A côté de la maison du garde-champêtre, un vieux camping-car Fiat était stationné. Le vieux machin, immatriculée aux Pays-Bas, vivait sûrement ses dernières années. Aucune lumière ne semblait allumée dans la maison, mais elle perçait en revanche derrière les rideaux du véhicule. Les ados se collèrent à la porte pour entendre ce qui se disait à l’intérieur. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes à se demander ce qui pouvait bien se passer dedans. Il y avait comme un bruit de légers frottements.
 « Tu crois qu’il y a quelqu’un, c’est peut-être un animal, non ?
- Ouais, c’est sûr. De vraies bêtes.
- Comment ça ? demanda le plus jeune.
- Tu comprends vraiment pas ? répliqua l’autre. »
De l’intérieur du véhicule, des cris entrelacés finirent par percer la paroi, le genre de bruit qui traverse facilement la barrière de la langue. Le petit était maintenant incapable de dissimuler ses émotions et son ami dit simplement : « Bah tu m’étonnes, ils ont raison. Y a pas un chat ici. » Après quoi, ils tambourinèrent bruyamment à la porte avant de prendre la fuite vers la forêt.



PS : Au Tournesol : Merci pour ces très bons conseils en bord de Loire.

1 commentaire:

  1. Ce fut avec grand plaisir. Et ce fut utile et constructif je trouve.Il y en aura certainement plein d'autres, bord de Loire ou pas ;)

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