Le choix dans la banane.




Sans même le savoir, l’homme au parapluie mauve est devenu une figure locale. Il faut dire que son existence millimétrée ne pouvait finir que par attirer l’attention. L’homme est devenu un rituel à lui tout seul. Quand il entre dans l’épicerie, les employés se regardent toujours d’un air entendu. Il est devenu non seulement leur mascotte silencieuse mais aussi une source inépuisable de paris divers et variés. Le samedi matin, l’homme profite de l’ouverture des stores pour aller directement se planter devant le stand des fruits et légumes. Puis, il reste de longues minutes à contempler les bananes. C’est un homme mince, les yeux le plus souvent embués de sommeil et le visage sans expression. Inutile d’ajouter que les employés de l’épicerie ne se risqueraient jamais à miser sur ce qui peut se passer dans sa tête. Ses gestes sont lents, peu appropriés à l’endroit, et tout se passe comme s'ils étaient articulés par d’invisibles ficelles. En prenant la première grappe, il se gratte systématiquement l’arrière de la tête et finit par la reposer. Les autres clients l’ignorent, cependant, les vingt minutes suivantes, il examine méticuleusement toutes les autres grappes, et ce, sous tous les angles possibles. Puis il ressort de la boutique, les mains vides. Eté comme hiver, il repart le long du boulevard, le parapluie grand ouvert.

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