Lester Bangs : foutu mégalo Bangs.


" J'étais de toute évidence brillant, un artiste doué, un mâle sensible qui n'avait pas peur de montrer ses faiblesses, l'une des rares personnes comprenant réellement ce qui n'allait pas dans notre culture, et pourquoi il était impossible qu'elle ait le moindre avenir (sujet sur lequel je parlais/donnais des leçons gratuites improvisées sans arrêt, surtout quand j'étais ivre, ce qui arrivait fréquemment, bien que pas tous les soirs), un empaffé avenant, bon au lit bien que, évidemment, je sois à ce point béni d'une sagesse bien au-delà de mon âge et de mon sexe que je savais que cela n'avait aucune importance. J'étais drôle, j'avais un sens de l'humour féroce, j'étais un individu vraiment unique et imprévisible, un artiste rock, j'avais mon propre groupe, j'étais peut-être candidat - sinon aujourd'hui, du moins demain - au titre du meilleur écrivain d'Amérique ( qui était meilleur ? Bukowski ? Burroughs ? Hunter Thompson ? Laissez tomber. J'étais le meilleur. Je n'écrivais pratiquement que des critiques rock, et encore, pas tant que ça..."


Si je vous parlais de ma dernière heure,


je vous dirais que j’ai acheté une baguette Place Delorme, que j’ai descendu la rue Franklin puis la rue du Scribe, puis la rue Racine, que je suis passé devant le Katorza puis le théâtre Graslin, que j’ai descendu la rue Crébillon puis le passage Pommeraye et la librairie Coiffard et la Place Royale, que j’ai traversé le cours des 50 otages en achetant une nouvelle baguette, qu’elles sont courtes dans cette ville, que j’ai croisé une chèvre, que j’ai pensé que je n’avais pas le temps ce soir de voir Une Vie Simple, mais que j’ai vu Mud et Only God Forgives, que j’aime vivre ici.



En sortant du palais.


A Saint-Malo parfois, les dimanches pluvieux valent mieux qu’un rêve. A circuler dans les couloirs du palais, on croise des femmes chics de chez chics, avec sous le bras gauche les éditions Acte Sud, sous le droit les éditions Gallimard. On entre dans le Saint-Malo intra-muros derrière Alain Mabanckou, on s'incline dans l’auditorium devant l’immense David Simon. On finit la journée dans la rotonde, avec à côté de la baie vitrée, Arnaldur Indridason dans son trench-coat, observant le ballet des mouettes dans le ciel malouin. Quelle journée, non mais putain, quelle folle  journée ! Constamment, je me suis senti au bon endroit au bon moment avec les bonnes personnes. Tant de trésors concentrés en une seule, ridicule, petite journée. C'est un miracle, et en même temps, un pur divertissement, tout simple, sublime et logique. Voir David Simon parler de The Wire, écouter Deon Meyer parler de l’Afrique du Sud, rire avec Indridason ironisant sur son personnage, ce flic alcoolique et dépressif. Tout ça est bien davantage que je n’aurais su rêver. Tu connais mon amour de la littérature, de l’océan, et des journées prolongées, et je connais maintenant tes idées en sortant du palais.



Oh, la magie Djian.




" La neige tombe en cascade, en silence. Quelques guirlandes lumineuses scintillent aux fenêtres du rez-de-chaussée, la cheminée fume, le ciel est envahi d’une claire pénombre.

Je n’ai pas très faim, mais je décide d’aller manger un peu pour reprendre des forces. Je mets des écouteurs et j’écoute l’album Felt de Nils Frahm tandis que je casse des œufs au-dessus de la poêle, une cigarette au coin des lèvres. Maman est bien morte, cette fois, ça ne fait plus aucun doute, et pourtant Nils Frahm finit par m’enchanter totalement.

Une vraie tempête se lève, à présent, et l’on ne sait si c’est elle où l’heure qui obscurcit le ciel. Malgré les écouteurs, j’entends le vent gronder ".


Une femme déterminée.


Ouahhh, ouais, ouaahhh, c’est ce qu’il y a dans ma tête depuis que je suis sorti du ciné, et ce n’est pas près de s’envoler. Je suis allé voir Hannah Arendt. Rien à voir avec Scarlett Johansson, je l’annonce illico. J’admire cette femme pour bien autre chose que simplement son corps.

Hannah Arendt. Une vraie vie de femme qu’elle a menée, une vie dans toute son ampleur, sa difficulté, toute sa splendeur. Le film le dit bien. Sa relation ambiguë avec le discutable Heidegger, sa traversée de l’Atlantique en 1941, son compte rendu du procès Einchmann, et l’histoire aimante et tumultueuse avec son mari et l’élite new-yorkaise.

Quelle force, quel courage, quelle détermination, quelle puissance, quelle énergie dans le corps d’une seule femme. L’esprit libre d’une femme sensationnelle, voilà ce que raconte ce film. C’est simple, on sort de là en se disant qu’il y a encore du chemin à parcourir, et bien des choses à vivre si l’on veut se satisfaire d’exister qu'une seule fois.

En provenance directe de la librairie Durance.



Être philosophe ne consiste pas

simplement à avoir de subtiles

pensées, ni même fonder

une école, mais à chérir assez

la sagesse pour mener une vie

conforme à ses préceptes…


Henry David Thoreau

Des mots frais du ciboulot.




J’ai couché chez toi cette semaine. C’est marrant, ce n’était pas prévu. Quand tu m’as donné les clés, je les ai prises sans penser à refuser mais je ne pensais pas revenir ici. Je les ai juste glissés machinalement dans le fond de mon tiroir, et pourtant, dès le lundi soir j’arrêtais mon skate au pied de ton immeuble. Je ne savais pas où tu étais, même si je me doutais – à la vitesse où vont les choses aujourd’hui – que tu devais déjà être loin. Il faisait froid dans l’entrée. Le marbre me refroidissait l’intérieur, des pieds jusqu’aux oreilles. J’attendais l’ascenseur, que cette boîte magique touche le fond. J’avais appuyé sur le bouton à destination de ton studio quand un bras s’est introduit dans l’interstice. L’ascenseur était quasiment refermé mais in extremis, j’ai trouvé le bouton de réouverture. Un homme est entré comme une furie, visiblement agacé. Il ressemblait fortement à un type avec lequel je n'avais aucune envie de parler, le genre de personne qui prend la vie au premier degré. Il a regardé avec mépris le skate que je venais d'accrocher au miroir. En vérité, je pense qu’il n’avait jamais appris à monter dessus. Il allait jusqu'au deuxième étage mais je suis descendu largement avant lui. Sur ton pallier, l’air est redevenu respirable. C’était calme et subitement apaisant. Je suis entré chez toi en faisant coulisser la fenêtre sur la gauche, posant mes affaires par terre, et je me suis allongé sur le canapé. C’était bon d’être ici. Il y avait une douce impunité à frayer ici en ton absence. Je ne savais pas combien de fois j’étais venu, vingt fois peut-être trente, qui sait, difficile à dire. En tout cas, c’était bien mieux d’être ici que dans mon petit studio qui commençait à être bourré de souvenirs. J’ai continué un moment à rêvasser dans tes coussins puis j’ai sorti mon cahier pour écrire quelques minutes. Je me suis mis à table et j’ai fini par enchaîner les mots. Après tout ce temps, j’avais oublié à quel point c’était bon. Avec cette folie du concours, j’avais presque oublié cette joie sublime. Écrire, écrire sans penser à rien d'autre qu’écrire, écrire, écrire chez cette ex qui un jour, m'a rafraîchi la vue bien proprement.


Square du Lait de mai.


Grand bain de soleil dans le petit square du Lait de Mai, 

j'hésite sur mon nouveau
lieu d’ancrage.

C'est comment des fesses de cafard ?

                                                         Francis Bacon.


La métamorphose de Kafka (1915)

L’été dernier au jardin des plantes, je me suis laissé embarquer par ce vieux roman. Le style m’a déboussolé et l’histoire désarçonné. Je vous explique. Un matin parmi d’autres, Gregor Samsa – employé modèle – se lève pour aller au travail, mais ce matin-là, il découvre que pendant la nuit son corps s’est transformé en cafard. Le type, employé modèle, tente quand même de se bouger les fesses pour ne pas décevoir son patron. Mais il ne parvient pas à maîtriser son nouveau corps. Alors on sonne à la porte. Gregor écoute derrière la cloison, et se demande bien ce qu’il va pouvoir faire d'un corps aussi atroce. A travers la cloison, un collègue de Gregor se fritte avec les parents. Les parents l’appellent, il répond faiblement, la sœur lui trouve la voix bizarre. Il est peut-être malade, dit-elle. Et quand Gregor parvient à ouvrir, c’est l’hystérie générale. La mère ne veut pas  penser qu'elle voit son fils. Le père entre dans une colère terrible. Toute la famille le repousse violemment dans la chambre. Gregor reste prostré. Dans un élan de pitié, la sœur lui apporte à manger et il tente de ressortir de la pièce. Mais ce n'est que fracas. Le père lui jette des pommes pour le repousser dans la cage. Et l'une d'elle vient s'enfoncer au fond de son dos. Sa blessure suinte, si terriblement qu'à la fin, Gregor s'éteint. Et il n’y a plus de je, plus vie. Plus rien. 


Le machin-bidule pour les lèvres.



Chez mes parents, au matin d’une soirée mémorable, 

les rayons du soleil traversent les stores jaunes de ma chambre bleue.


Avant le tandem.


                               Mascaron, quai de Turenne.

     Mme T,

          j’avais depuis longtemps envie de vous écrire mais n’ayant pas encore eu le cran de vous demander votre adresse, je me contente d’écrire là où vous n’irez pas. Madame, je connais votre pudeur mais que voulez-vous, je ne suis qu’un garçon de 86, incapable d’évoluer loin des regards… Madame, je prends les lecteurs de mon blog à témoin pour vous demander d'arrêter de me payer le resto, je ne suis plus ce stagiaire que vous avez accueilli avec votre fabuleux regard. Madame, vous si croyante. Moi si peu croyant, je vous le dis. Vous rencontrer a changé ma vie. Dans cette pièce où nous discutions des heures après le boulot, vous m’avez tout appris. Vous savez, il y a quelques semaines alors que nous marchions vers le bus, vous m’avez dit que j’avais cette rare qualité, cette capacité d’écoute… Eh bien oui vous avez raison, je vous ai écouté avec attention et mes parents m’excuseront peut-être cette phrase, mais vous, vous avez la capacité à être la personne la plus extraordinaire que j’ai rencontrée ces 26 dernières années. Et vous savez, cette fille dont vous me parliez, avec qui, un jour je formerai un joli tandem, eh bien, je ne l’ai pas encore rencontrée, même si je vous avoue qu'entre temps j'en ai rencontré des vraiment pas mal... Aujourd'hui, je prends davantage le temps de les découvrir. Mais ça, on en reparle Chez Artur, Jeudi, 12h15.

Benoît.

PS : Si j’ai ce concours c’est grâce à vous et si je ne l’ai pas, je crois que c'est clair, c’est à cause du jury.

Du domaine des constellations.




John Keats.

« Beauté est vérité et vérité beauté. 

Voilà tout ce que l’on sait sur terre et tout ce qu’il faut savoir. »



Précision Thompson.





« Le " bonheur ", ou l' " amour ", font partie des termes que je n'ai jamais vraiment compris. Quand on gagne sa vie avec les mots, on finit par s'en méfier. A commencer par de " grands mots " tels que " Bonheur ", " Amour ", " Honnêteté ", " Confiance " : Ils sont bien trop évasifs, et relatifs lorsqu'on vient à les comparer à la précision méchante de " taré ", " minable ", ou " dingue ". Avec ceux-là, je me sens en terrain connu. Ils n'ont pas beaucoup d'épaisseur, donc ils sont faciles à maîtriser. Mais les grands mots, eux, sont coriaces. Et il faut être un prédicateur ou un fou pour les utiliser sans méfiance. »

HST.

Tous les cinq



et la vanille chaude.

Il cherchait la chose dans le tiroir. La veilleuse au bureau éclairait la pièce bleue. C’était la nuit mais il n’arrivait pas à dormir. Dans quelques heures, il serait en voiture avec son frère sa sœur sa mère son père. C’était trop pour dormir. Il fouillait un moment. Le scotch roulait sur la moquette. C'était impossible d’imaginer les vacances sans ce trésor. Il voulait appeler sa mère pour lui demander si elle savait où le trouver mais à cette heure, il risquait de la réveiller. Aucune lumière ne venait des autres chambres. Il s’agenouilla et continua à chercher derrière le rideau du placard. 

A cet endroit, il y avait des tas de babioles. La maison était calme. Seule la pluie tombait sur les volets. Il entra dans le bas du placard et se fit une grande place. Il s’appuya contre le fond en y collant bien la tête. Ce n’était pas si grave en fait. Il demanderait à son père d'acheter son picsou magazine sur une aire d'autoroute. 




Pour l’instant de toute manière, il n’aurait pu le voir dans ce noir. Il écouta attentivement le silence parfait de la maison et sentit une odeur particulière monter du placard, ça sentait la vanille. C'était son corps ou le placard, il ne savait plus. De toute manière, cette pièce bleue, cette pièce de son enfance était plus que son corps. Il y passait des heures avec son amie que sa mère gardait le mercredi. S'ils passaient  ce temps ensemble à ne rien faire, c'était juste pour respirer ensemble cette odeur, comme découvrir le corps de l'autre sans jamais le toucher.

Au matin, la voix de sa mère le réveilla d'en bas. Il tira le rideau et descendit à la cuisine. Tous les quatre étaient assis dans une odeur de vanille chaude.