Sous la tôle et près des lames.


Tandis que la pluie tombait au dessus d’eux, ils s’étaient tous les trois couverts d’une couette jusqu’à la hauteur des genoux. Cette matinée, le tissu avait l’allure d’une couleur incertaine, gris bleu peut-être. L’un d’entre eux était occupé à découper un jeans alors que dans le coin opposé de la cabane, le plus doué construisait un lance-pierre. La dernière était toute entière allongée sur le ventre. Elle avait relevé un peu la couette pour regarder entre les lames de bois. La voisine faisait les cent pas en dessous, incapable de se décider à monter. La fille releva la tête vers les autres. Bon, on fait quoi maintenant ? On peut plus descendre. Vous pensez qu’elle est aussi conne que son fils ou pas ? Ils en parlèrent brièvement avant de se dire qu’elle se fatiguerait certainement avant eux. En plus, ils avaient prévu de quoi déjeuner et au pire, d’ici le soir, ils auraient chacun leur lance-pierre.




La voisine était maintenant assise sur un tas de fumier. Je la regardais. Sa robe de chambre dépareillait un peu avec le champ de maïs. Nous aussi elle nous avait coursé la Velpeau. Même si à l’époque au moins, elle prenait la peine de s’habiller avant. A nous aussi, elle nous en avait donné du souvenir. A nous suivre dans les boutiques pour nous empêcher de zoner, de voler, et parfois même de simplement acheter des pétards. Fallait pas chialer pour ses géraniums explosés au bison.
Aujourd’hui, c’était bizarre de la voir aussi inerte. Elle ne parlait pas. Elle restait là, à ne rien faire. Comme s’il était naturel à quarante-six ans de se changer en statue de sel au pied de la cabane des gamins. Forcément, j’étais un peu inquiet, moins d’ailleurs pour sa santé mentale que pour son calme. Elle mijotait un truc pas clair la Velpeau. On lui avait toujours connu une énergie brutale. Une absence de contrôle. Combien de fois avait-elle failli me rouler dessus quand je sortais de la cour… A vingt-deux ans, j’envisageai pourtant ma vie ailleurs que sous la roue d’une Safrane.

Le soleil était optimal quand elle commença à parler. Au départ, c’était juste un murmure puis elle s’est mise d’un coup à hurler en posant ses mains sur son incroyable chevelure. De la salive coulait sur ses dents et sa bouche. Elle criait si fort d’ailleurs que les petits sortirent bientôt leurs têtes de la couette. Mais putain elle est folle ! On fait quoi maintenant ? Il y eut un moment d’hésitation, puis ils décidèrent de descendre l’affronter avant qu’elle rameute le monde. Ils remplirent leurs poches de cailloux, promirent de se séparer en bas, et entamèrent la descente. Ils descendirent les branches avec souplesse, sans anicroches. Mais au pied du chêne, la Velpeau lâcha son dogue allemand. Ils ne l’avaient pas vu ce con. Ils foncèrent droit dans le maïs, écrasant les pieds un à un, s’entaillant les joues avec les larges feuilles. Ils couraient en se séparant en trois chemins distincts, priant pour éviter les vipères. Atteignant le fond du champ, ils se rejoignirent près du pont-de-la-mort, loin des plaintes du cabot. La voisine était sûrement déjà retournée à son tricot. Ils décidèrent pourtant de rester à l’abri, dessinant un cercle, abattant les tiges, s’enlaçant soulagés, à l’ombre des épis.


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