Milan Kundera, plutôt réputé pour sa discrétion, est certainement le romancier qui fait couler le plus d’encre en ce moment. Il est effectivement « pléadisé » de son vivant. Nul hasard à l’origine d’une telle distinction.
L’univers kunderien est purement innovant et inédit dans l’histoire de la littérature contemporaine. Il est surtout d’une justesse émotionnelle inégalée.
La particularité de ce microcosme est d’associer constamment fiction et réflexion, tout en sachant que la première l’emporte inlassablement sur la seconde. Il y aurait mille points à aborder pour cerner de manière minimaliste la richesse d’une telle œuvre. Je me contenterai donc de quelques impressions.
Tout d’abord, il y a en filigrane le rapport que nous entretenons avec notre corps qui joue un rôle majeur. En effet, chez Kundera, les gestes effectués par chacun de ses personnages sont des inspirations majeures. Je pense évidemment à la vieille dame se hissant au bord de la piscine à l’aune de l’ « immortalité », ou encore à Sabina se regardant longuement dans le miroir, nue, tout juste coiffée d’un chapeau (« L’insoutenable légèreté de l’être »). J’ajoute que les personnages féminins chez Kundera sont d’une remarquable complexité émotionnelle.
N’allez pas croire par là que Kundera ne s’attelle pas à décortiquer la condition humaine propre à l’homme, voyez plutôt :
« Tout homme a deux biographies érotiques. On ne parle en général que de la première, qui se compose d’une liste de liaisons et de rencontres amoureuses.
La plus intéressante est sans doute l’autre biographie : le cortège des femmes que nous voulions avoir et qui nous ont échappés, l’histoire douloureuse des virtualités inaccomplies. »
Ensuite, ce qui m’a bousculé dans l’infime partie de l’œuvre de Kundera que j’ai parcouru, c’est la matérialisation même de l’idée selon laquelle les écrivains connaissent davantage les recoins de votre personnalité, que vous même. Évidemment, interpréter cette phrase au premier degré confine à la folie pure. Pourtant, il y a du vrai niché la dedans.
Ce qui change dans l’univers kunderien (notamment par rapport à l’œuvre de P. Roth), c’est qu’elle laisse une emprunte éminemment ambivalente en vous. Lire Kundera cristallise votre essence même, mais c’est aussi un incroyable prolongement de vos sensations et sentiments. Seul Kundera arrive avec autant de maestria à mettre des mots sur des sentiments inconnus, pour les faire notre.
En cela, il n’est pas étonnant d’apprendre que l’écrivain est passionné de musique. De la même manière qu’il existe des portes secrètes vers des textures musicales inédites, les variations de thèmes chez Milan Kundera ont cette capacité à créer un terreau inconnu (propice à des pousses futures). En somme, face à ses écrits, on assiste à un bouleversement par la beauté. Mieux, un changement de notre idée de la beauté.
En voici un échantillon : « L’existence n’est pas ce qui s’est passé, l’existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l’homme peut devenir, tout ce dont il est capable ».
Vous sortez d’un roman de Kundera totalement rasséréné, les idées renouvelées.
Au fond, la passion des mots est au centre de tout comme chez Roth.
Au fond, la passion des mots est au centre de tout comme chez Roth.
Voici notamment une idée lumineuse qui a de quoi nous donner du grain à moudre : « au-delà de l’amour, l’amour existe ».
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