Emmanuel Carrère - L'adversaire (2002)


Les faits divers pullulent en ce moment, et semblent prospérer à travers des médias qui en font leurs choux gras. Certains journalistes ignorent délibérément tout semblant d’éthique, et se font un plaisir d’employer les mots « enfer », « calvaire », « monstre », pour attirer l’attention, en attisant la peur chez le spectateur.
Ici, l'approche est toute autre.

D’Emmanuel Carrère, j'avais adoré « Un Roman Russe » et surtout « D'autres Vies que la Mienne », récits admirables, souvent drôles et émouvants.
« L’Adversaire » est à part, puisqu’il est entièrement tiré d’une histoire vraie. Il est évident que si ce texte était une fiction, de nombreuses personnes auraient pointé du doigt son manque de crédibilité. Personnellement, je l’aurais trouvé tape à l’œil et exagérément glauque.

Par où commencer… Tout d’abord, étant trop jeune à l’époque, je n’ai pas souvenir d’avoir entendu parler de cette affaire dans les médias.
Jean Claude Romand est au centre de ce récit. Il fait partie de ces personnes décrites par le voisinage « comme gentille et attentionnée » et qui pourtant un jour, assassine toute leur petite famille.
La particularité en l’occurrence tient au fait que toute la vie de cet homme fut basée sur un tissu de mensonge. Un premier mensonge : la poursuite de ses études de médecines, alors qu’il échoua en deuxième année. Ou comment mettre les pieds dans l’engrenage dont il ne sortira plus.

« Comment se serait il douté qu’il y avait pire que d’être rapidement démasqué, c’était de ne pas l’être, et que ce mensonge puéril lui ferait dix-huit ans plus tard massacrer ses parents, Florence et les enfants qu’il n’avait pas encore ? »

Après quelques cancers imaginaires, une agression dont personne ne saura si elle s’est réellement produite, il s’installe avec sa femme. Ils auront 2 enfants ensemble. 
Alors il devient scientifique à l’OMS, et l’un des proches de Bernard Kouchner.
En réalité, il n’a aucun travail.

« Il était selon l’expression de Florence, « très cloisonné », séparant de façon stricte ses relations privées et professionnelles, n’invitant jamais chez lui ses collègues de l’OMS (…) »

Grâce à une magouille financière, il préserve les apparences. Étant une des figures éminentes de l’OMS, il dispose de placements boursiers avantageux. Certains lui font confiance, lui donnent de l’argent, qu’il place directement sur son compte.
Il part toute la semaine parfois, sans savoir que faire de son temps. 
Il lui arrive de stationner sa voiture sur le parking de l’OMS, et d'attendre.
Des années, plus tard, certains commencent à douter, veulent récupérer leur argent. 
Il panique, et se dit que le suicide est sa seule alternative. Oui, mais quand ?

Pourtant, un samedi matin l’inexplicable se produit. 
Il essayera plus tard de mettre le feu à sa maison, en se suicidant.
Il survit à toute sa famille.
Carrère suivra le procès de Roman et lui rendra quelques visites en prison.

Ce récit est dur, cruel, à la limite du supportable. Je vous ai épargné bien des détails.
On sort de cette lecture éreinté, comme après avoir véritablement suivi un procès aux assises.
Carrère dit lui-même qu’il est heureux de finir ce récit, et de passer à autre chose.
Mon impression est la même. Vite. Autre chose.

J'aurais aimé croire à une fiction.

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