La
nage de Manon est soudain devenue naturelle. Je ne la connaissais pas
assez à l’époque pour en connaître la raison, mais le changement était
spectaculaire. J’étais dans les gradins ce mercredi, la cheville bêtement dans
le sac, quand je l’ai vue soulever les lames transparentes séparant le bassin
de la douche. Elle portait un maillot qu’elle avait sûrement acheté à la
sauvette. Elle a posé sa serviette sur le bord et a marché sans se retourner. Sur
le coup, je n’étais pas très à l’aise à la voir, car plusieurs fois, j’avais
passé des soirs à écrire sur elle. Elle n’a appris ce détail que bien plus
tard, mais n’empêche qu’à l’époque, je croyais qu’elle le savait déjà. A ce
moment, l’écriture et ma vie étaient encore très perméables. Les gens qui me parlaient
de mes personnages comme s’ils existaient me mettaient mal à l’aise. Alors,
quand Manon que j’avais connue pour l’essentiel sur le papier s’est mise à
l’eau devant moi, j’ai senti monter le tournis. En la voyant nager, prendre ses
virages, ce n’est plus d’air dont j'ai manqué, c’est d’une frontière claire
et nette entre la réalité et la fiction.
Vers
onze heures et demi, Manon s’est arrêtée au bout de la ligne d’eau numéro
quatre. Elle était gênée par la foule. Je l’aurais bien prévenue que la première
ligne était quasi inoccupée, mais je n’avais pas pris mon portable. Elle
non plus, je pense. En plus, je me demande bien comment j’aurais trouvé son
numéro... Manon s’impatientait dans l’eau, ça se sentait. Elle était pressée de
s’épuiser. Elle a repris sa nage mais avant d’atteindre les 50 mètres,
elle s’est cognée contre un chauve qui nageait comme une clé à molette*,
tentant de doubler sans réussite. Sûrement un idiot cherchant à prouver sa virilité
de manière débile, un classique des bassins. Le type m’a fait
penser à mes débuts dans le texte. Au départ, en écrivant, j’étais comme lui. Non que je voulais prouver une quelconque virilité, non, j’avais passé l’âge...
mais je voulais briller avec les mots et attirer par de grands gestes.
Dorénavant, j’avais réalisé que ce n'était pas seulement ridicule, c'était
déplorable. Il est précieux cet ami me disant que mon blog serait mieux s'il était moins chiant... Je riais contraint, mais depuis peu,
dans l’eau et les mots, je progressais mieux, plus discret, plus
fluide. J’avais perdu l’idée de faire du style. Maintenant, j’écrivais
juste un peu après la natation, comme une méditation, sans chercher
l’impossible. Je cernais mieux mes limites et surtout, je voyais ceux à qui je
ne voulais pas ressembler. Le genre, type qui refuse de se faire doubler à la
piscine par une femme parce qu’il surestime un peu trop la taille de ses bollocks.
Maintenant,
j’avais perdu Manon de vue. Ah non, ah si, elle était de l’autre côté du
bassin. Elle glissait avec facilité, même si elle faisait de grosses vagues
étranges sur son passage. Elle avait trouvé son rythme, s’enfouissant avec
aisance dans le chlore, dessinant un joli sillon sur le retour. Plus tard, elle
m’apprit qu’elle avait commencé à nager au club Mickey de Royan,
sur la plage de Pontaillac, où elle était partie petite avec ses parents. Je
n’étais pas tellement surpris mais je ne l’aurais pas non plus deviné. Pour
l’heure, je descendais du gradin et m’approchait un peu mieux des rambardes
pour profiter de l’odeur de la piscine.
* Cette expression n'est pas de moi, elle est de Freddy.
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