C’est sous ses yeux qu’il est devenu
adulte, sans sexe ni rien. Ils ne s’étaient jamais touchés et maintenant
qu’elle était morte, ce n'était même plus possible. Il sentait aujourd’hui
beaucoup de douceur en la voyant dans sa mémoire. Avant elle, il avait eu
quelques relations mémorables. Une première fois qui s’était bien passée s’il
la comparait aux récits de ses amis. Des amours qui avaient duré des mois
voire des années avec parfois beaucoup de tendresse... Bref, il connaissait la
chose comme aurait dit sa grand-mère. Mais cette fois, c’était différent.
Elle était plus âgée et plus cultivée que lui. Il l’avait
rencontré dans une association qui semblait n’avoir pour seul but que la
rencontre. Elle l’avait invité chez elle le soir même. Et un peu malgré lui, il
avait accepté. La première soirée avait été si ennuyeuse qu’il s’en était mordu
les doigts. Pourtant, il l’a rappelé quelques semaines après. Ensuite,
ensemble, ils ont passé une dizaine de soirées à parler de tout et de rien, dans
les moindres recoins. Elle aurait pu être psychiatre. Il aurait pu être
patient. Ils en avaient tous les deux le pedigree. Sauf que là, ce n’était pas
monnayé. Le soir en montant chez elle, il ressentait un vertige sur le perron.
La fraîcheur du fleuve lui caressait le cou. C’était comme avancer dans un rêve
où l’horizon l'éclaboussait. Elle mettait tellement de temps à ouvrir qu’il avait
fini par croire qu’elle le comprenait parfaitement. Sur le perron, il fermait les
yeux, respirait à fond pour fixer l’instant. Et en entrant dans la maison, une
fois sur deux, il avait envie de l’embrasser sur la bouche. Il trouvait ça
presque plus normal que de ne pas l’embrasser du tout.
Elle parlait de Camus avec la même
excitation que lui enfant, évoquant les tortues Ninja. Ses yeux pétillaient plus
qu’aucune autre partie de son corps. Ses phrases s’étendaient à perte de vue
comme des draps lumineux. Elle jetait un oeil par la fenêtre avec nostalgie, très élégante. Derrière elle, il regardait régulièrement le piano qui semblait
ne plus avoir servi depuis longtemps. Le peinture au mur avait vieilli,
pourtant, une odeur délicieuse décollait les narines. Il l’écoutait parler de
la guerre, de son amant, de l’horreur du retour. De temps en temps, il y avait
un silence que personne ne voulait vraiment déranger. Ses histoires se déroulaient au loin dans les plaines. Il n’avait plus envie de l’embrasser.
Il la contemplait juste, l’écoutait calmement. Mais quand il prenait la parole,
il parlait aussi très longtemps. Elle le regardait avec attention, réalisant
qu’il était moins bête qu’il ne voulait le paraître. Il lui disait son
dégoût des médias, des experts. Il riait jaune en parlant des gens qui,
connectés à tout, ne croyaient plus à rien. Il parlait enfin des idiots qui
préfèrent commenter leur vie plutôt que de la vivre. Elle souriait, réagissant
à toutes ses paroles avec amour et pitié. Lui disant que
s’il restait aussi vieux jeu, aussi irréaliste, il n’attirerait plus aucune
fille de sa génération. Lui faisant comprendre qu’il fallait autant que possible
utiliser les technologies disponibles pour rencontrer, essayer, goûter...
Expérimenter. Neuf fois sur dix, la femme trouvait les mots justes pour
dépoussiérer les vieilles idées du jeune homme. Puis le matin, il prenait un
bain et rentrait chez lui, l’esprit limpide.
Pour le personnage de la femme, je
me suis librement inspiré d’une personne qui ne viendra jamais ici et qui est heureusement
encore en vie.
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