Jon Kalman Stefansson - Entre Ciel et Terre (2011)



            Oscar Wilde avait l’habitude de dire que le cynique est celui qui connait le prix de tout et la valeur de rien. L’incarnation la plus juste de ce cynisme est certainement la personne qui, se promenant en bord de mer, enrage contre cette ridicule quantité d’eau.
La prose de l’islandais Jon Kalman Stefansson  s’épanouit aux antipodes de cette rage inutile et dérisoire.

            Il est d’ailleurs étonnant de remarquer que les plus belles fantaisies littéraires proviennent actuellement de bouts de terres situés au milieu des océans.
Haïti évidemment, exotique et colorée, proie de catastrophes humaines majeures, et dépeinte avec beaucoup de candeur par Laferrière et Trouillot.
L’Islande également, crue et poétique, victime de la foudre financière, et décrite avec justesse par Indridason, Ava Olafsdottir, et maintenant Stefansson.

            Le titre « Entre Ciel et Terre » porte en lui une forte tonalité religieuse qui ne doit pas tromper. En vérité, il n’a qu’un moteur. Une passion. Il n’existe que par l’union joyeuse de la nature et la poésie.
On est au XIXème siècle, et on suit les pêcheurs aux caractères bien trempés ainsi qu’un mystérieux gamin. Le jour arrivant, ils prennent place sur des barques qui paraissent bien fragiles en fendant la mer. Les femmes, elles, attendent avec appréhension sur la terre ferme, car elles le savent bien, ces hommes pour l’immense majorité d’entre eux ne connaissent pas même les rudiments de la natation. On comprend vite que là plus qu’ailleurs, le vernis entre la vie et la mort n’est pas bien épais, car il se limite à une planche de bois.

            « Pendant un long moment, personne ne pense à rien, ils ne regardent rien, on se contente de ramer, toute l’énergie, l’ensemble de l’existence est consacré à avancer, à s’éloigner de la terre, à aller plus avant sur la mer ».

            Le style de Stefanson est formidable. Plus qu’une simple aventure, c’est une véritable frénésie dans laquelle on s’engouffre. On y goute comme on le ferait d’un vin de qualité, dans le silence et la délectation. La lenteur et l’abandon conviennent pleinement à cette délicate dentelle. Jugez plutôt :

            « Certains mots sont probablement aptes à changer le monde (…). Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires ».

            Juste. Formidable. Je ne sais quel mot utilisé pour faire de cette chronique la plus belle de mon blog. Moi qui ai longtemps été allergique à la littérature (avec ses obligations scolaires ridicules et insoutenables), c’est en refermant ce nouveau roman que j’ai compris qu’un changement s’était définitivement cristallisé dans ma vie.
J’ai compris qu’en dehors des besoins vitaux et bien évidemment en dehors de l’amour, de l’amitié et de la famille (des relations humaines), les mots étaient devenus la valeur suprême.

  « Les intemperies
exigent
la frénésie».

            Non seulement, l’écriture me permet chaque jour de comprendre qu’ils sont perpétuellement créateur de renouveau (et de métamorphose), mais surtout, qu’ils sont le contraire du cynisme, en tout cas, au sens où l’entendait Oscar Wilde.

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