Les Soprano (1999)



Les séries TV, à l’image des jeux vidéo, ont longtemps été des objets culturels dénigrés. Nombreux sont ceux qui n’y voyaient là que cinoche bas de gamme pour faire pleurer dans les chaumières. Si cette approche est réductrice, il faut en même temps observer que la qualité proprement dite des séries TV n’a pas toujours été au rendez-vous. Prenons Beverly Hills & co.

A contrario, depuis une bonne dizaine d’années, ces programmes ont pris de l’épaisseur et de l'allure. D’ailleurs, il y a peu, des sociologues français se sont emparés du sujet ; ceci avec plus ou moins de réussite.
Certains s’engouffrent en effet dans des extrapolations toutes personnelles (pour ne pas dire erronées). Je pense ici à cet universitaire français qui perçoit les théories de Schopenhauer derrière les intrigues qui se nouent à Wisteria Lane. Morale de l’histoire : tu as beau te démener comme un beau diable, ta vie oscillera toujours entre ennui et souffrance. S’il avait raison, les coffrets DVD seraient munis d’antidépresseurs

Cela n’empêche, il est bien évident que tout ce mouvement a de quoi faire tomber cette idée ridicule selon laquelle qualité et culture de masse seraient nécessairement inconciliables.

Ici, je ne peux pas ne pas prendre l’exemple des Soprano. Il y a tant de fulgurance et de finesse dans cette série qu’il parait presque difficile de l’évoquer. Tout d’abord, la ville : Newark, 280 000 habitants. Personnage principal. Si particulière avec ses boutiques aux murs décrépits et cette vague de désindustrialisation qui la frappe de plein fouet. Si fadasse d'apparence et pourtant si attachante.
Ensuite, il y a surtout la performance des acteurs : une Edie Falco exceptionnelle en quinquagénaire au foyer toujours au bord de la rupture, une Lorraine Bracco splendide en psychologue névrosée, un Steve Buscemi glaçant et impeccable… Et puis, bien évidemment, il y a James Gandolfini qui navigue entre ses deux familles. Spaghettis, mafia, crises d’angoisse et tutti quanti. Il y a dans son personnage matière à penser pour toute une vie.

Ce n’est peut être pas un hasard si le puissant et colérique James Gandolfini incarne à sa façon cette idée développée par le plus célèbre natif de Newark, un certain Philip Roth :

« Est-ce que tout le monde n’était pas plus heureux enragé ? En tout cas, plus intéressant. On ne rend pas justice à la colère, c’est parfois distrayant, un vrai bonheur » (P. 210, la contrevie - 1986)

Il y aurait tant à dire :  je vais alors jouer la facilité en bottant en touche. 
Juste une mini digression, en quelques jours d'intervalle, deux personnes m'ont affirmé que selon elles, la mise en scène de la violence pouvait entrainer à terme la violence chez le spectateur. 
Personnellement, je n'y crois pas. Je ne crois pas que ce type de fiction puisse entrainer la violence, pas plus d’ailleurs qu’elle ne la désamorce. Il y a certes des scènes d'une violence inouïe chez les Soprano, mais je pense qu’il faut à la fois faire une place centrale à l'approche critique du spectateur, mais aussi à sa capacité à détourner du regard.

L'immense majorité des spectateurs comprend que la fiction est intéressante justement parce qu’elle n’est pas le réel.

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