« La nouvelle coupe la nuit en deux.
L’appel téléphonique fatal
Que tout homme d’âge mur reçoit un jour.
Mon père vient de mourir. »
Ainsi commence l’« Enigme du retour » de Dany Laferrière, fabuleux roman d’exil, doublé d’une écriture magistrale et d’une somptueuse verve poétique.
Quand je lisais ce roman, dont nombre d’images et de couleurs m’ont à jamais imprégné, je me demandais si Dany Laferrière qui était en Haïti au moment du séisme du 12 janvier 2010, allait en faire son prochain roman.
Comment un écrivain aurait il pu résister à cette tentation ?
Un an plus tard, parait donc « Tout bouge autour de moi » que certains qualifieront de témoignage, et d’autres comme moi, de roman, peu importe à la rigueur.
Pour ceux qui connaissent d’ores et déjà le talent de conteur de Laferrière, n’hésitez pas, foncez. Pour les autres, je trouve qu’il serait dommage de se laisser effrayer par le sujet.
Ce nouveau roman est, à l’image de son titre : simple et limpide.
Aborder ce cataclysme et les semaines qui ont suivi sans pathos est un exploit et un juste équilibre dont seul les plus grands sont capables. Indéniablement, Laferrière en est.
16 h 53 : En une minute, tout change.
La force de ce récit tient précisément dans le fait que le narrateur (Dany himself) porte une multitude de regards sur cette « chose » qui a frappé Haïti, en fonction des endroits et des moments dans lesquels il se retrouve.
Cela oscille souvent entre stupéfaction et douceur.
Se retrouvant dans des camps de fortunes, il écrit sur son carnet :
« J’ai une emmerdeuse dans mon coin. Elle ne parle que de ses problèmes. La plupart des gens ici ont peut être des parents morts ou blessés, mais elle s’en fout. Elle sait que son mari est vivant, pourtant elle laisse planer le doute afin de rester au centre de l’attention. »
Ayant la chance de retourner quelques jours plus tard au Canada (où il vit habituellement), il se place lui-même dans la situation du spectateur éberlué devant sa télévision, ne croyant pas lui-même que ce qu’on lui montre est vrai. Tout semble mis en scène, tout sonne faux.
« J’allume la télé, tôt ce matin, pour tomber sur cet analyste politique qui croit qu’Haïti pourrait repartir du bon pied s’il consent à oublier tout ce qui a précédé le séisme. On évoque un moment la situation d’avant qui n’était pas reluisante. La scène est assez choquante en elle-même puisque l’analyste et le journaliste sont confortablement assis tandis que derrière eux (plein écran) on voit défiler les images de la désolation. Il suffit de regarder ces scènes d’horreur (des bouches hurlant sans qu’on entende un son) pour acquiescer à tout ce qui se dit. Cette technique d’intimidation est si généralisée qu’on y voit rien d’anormal. En fait on nous présente un problème tout en nous empêchant de réfléchir. La réponse est derrière la question. »
« Tout bouge autour de moi » est empli d’instants de pures émotions intimes et subjectives.
Pas l’ombre d’une poussée voyeuriste ici, juste un regard neuf (et de l’intérieur) sur une population incroyablement combative.
Ce n’est pas le Goudougoudou (nom donné au séisme par les haïtien) qui habite ces pages, mais plutôt l’âme d’un peuple admirable, coulant dans les veines d’un écrivain majeur de la francophonie, et écrivain majeur tout court.
Un pur instant de poésie vibrante, à l’image de l’ouverture :
Devant la mort
Il ne devrait y avoir ni joie ni tristesse
Seulement un long regard étonné
Renaud Lonchamps
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