Le gang des casquettes blanches.


  

Urgences.

Quand la jeune femme décide de prendre le chemin du retour, il doit être à peu près deux heures du matin. Elle n’a pas l’habitude de rentrer seule, mais à cette heure, plus personne n’est en état de la raccompagner. Elle se retrouve donc à marcher dans les rues de cette ville avec pour seule hâte de rentrer chez elle. En contournant la maison de retraite, son imaginaire commence à s’emballer. Elle appréhende le parking de l’hôpital qu’elle devra traverser et elle réalise que cette peur risque de l’engloutir toute entière. Déjà, le faible éclairage à l’abord de l’hôpital ne fait qu’amplifier ce sentiment. Le bâtiment plongé dans la pénombre, le funérarium et la maternité (dont elle ne sait pas s’ils existent encore) ne la rassurent pas du tout. En entamant la descente, elle tente d’éviter les crevasses pour rejoindre la cuvette de la bâtisse. Il y a là des arbustes qu’elle devine ainsi qu’un héliport fantomatique. Autour d’elle, elle traque les cachettes, les recoins... Et bizarrement, c’est à l’approche des lueurs de l’hôpital qu’elle retrouve son calme. En contrebas, les portes des urgences paraissent presque accueillantes. Plusieurs ambulances sont stationnées en file indienne. En fait oui, jamais par le passé, ces lettres rouges ne lui avaient parues si belles, si sereines.   


                                                                                                                                                                                                           Heath Ledger.


Plus un chat ne se balade sur la rocade.

Plus tard sur la rocade, elle marche sous les lampadaires et imagine les boxes des urgences. Cet endroit l’intrigue car elle n’y a jamais mis les pieds. Elle se demande si ça ressemble aux séries télés ou si au contraire, c’est peuplé de dingues, de paumés, de comateux...mais là ! En face, une voiture descend le boulevard, tous feux éteints. Derrière le pare-brise, elle ne parvient pas à distinguer le chauffeur. Seul le plafonnier diffuse une onde grotesque. Elle continue à marcher, feignant d’ignorer l’autre coté du terre-plein. Elle ne connaît pas grande chose aux voitures. Il lui semble tout de même que c’est une Mercedes. Tout se bouscule dans sa tête. Elle l’entend descendre l’artère lentement, très lentement, beaucoup trop lentement... Et plus la voiture diminue son allure, plus la jeune femme augmente la sienne. Avant qu’une porte ne s’ouvre, qu’une fenêtre ne se baisse, elle contourne le lavoir, traverse la pelouse et se met à courir. Dans son dos, elle croit percevoir des éclats de rires, mais son sang bourdonne violemment. Il l’assourdit totalement. Elle se retrouve à bout de souffle en haut de la côte, alors elle s’arrête et se retourne pour regarder en bas. Le boulevard est complètement désert. 



Le gang des casquettes blanches.

Elle ne cernera toute l’origine de sa frayeur que bien plus tard. Lors d’une soirée organisée chez une amie, minuit est déjà passé depuis longtemps quand quelqu’un lance : “Vous vous souvenez du gang des casquettes blanches? Vous vous souvenez du sourire de l’ange et de la cravate?” Ces trois mots claquent en elle, faisant resurgir tout un pan de sa mémoire. Le Gang des Casquettes Blanches. A l’époque, la rumeur s’était propagée comme une traînée de poudre. Au collège, tout le monde était au courant, tout le monde en parlait, tout le monde avait sa version : “Quoi, tu sais pas? Y a un groupe de mecs qui traîne en voiture la nuit. S’ils te voient, ils te choperont. Ils te feront le sourire de l’ange. Ils te tailladeront les joues jusqu’aux oreilles. Ouais, jusqu’aux oreilles ! Et puis, s’ils ont envie de s’amuser un peu, ils te trancheront la gorge pour en faire sortir ta langue, comme une cravate. Ben ouais, comme une cravate !” Après les cours, elle se rappelle que les filles appelaient leurs parents pour qu’ils viennent les chercher. A la tombée de la nuit, les garçons se félicitaient d’être rentrés au bercail. Et puis un jour c’en était trop, le proviseur les a tous réunis dans la cour centrale pour leur expliquer que personne n’avait jamais vu les membres du gang, puisqu’ils n’existaient pas.
Ensuite, et malgré des efforts spectaculaires pour la raviver, la rumeur s’est dégonflée comme une baudruche. Chacun se rendant compte que tout avait été inventé de toutes pièces et que, appareils dentaires à part, rien ne venait défigurer le sourire des élèves. Oui en fait, ce gang des casquettes blanches, du début à la fin, n’avait été ni plus ni moins qu’une rumeur, une illusion, une microfiction.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire