Narration Arc-en-Ciel*






Au vitriol.

            Sous mes yeux, cette feuille diaphane posée sur le bureau. Elle se tient là. Et elle me nargue, elle me nargue. Elle me nargue ! Et je sens que je dois faire taire ce monochrome.  Ça peut plus durer. Je dois étrangler cette voix blanche.

Là, je ne sais pourquoi, l’image de cet historien des couleurs – vu à la TV – me revient. Quel drôle de métier. Je veux dire, en l’écoutant, il ne fait aucun doute que le mec connaît sa matière. Il touche sa bille, mais tout de même… Historien des Couleurs. Quel drôle de métier.


Ça, c’est du plaqué or.

            Je ne peux m’empêcher d’imaginer ce type, en conférence. Je le vois monter sur la chaire pour y dérouler sa prestation. Puis, vient le moment des questions. Une femme s’empare du micro, sûre d’elle : « Monsieur, tout d’abord, je tenais à vous remercier pour vos éclairages. Ceci dit, seriez-vous en état, aujourd’hui, de nous en dire davantage sur la naissance du Rose ? » L’historien se racle la gorge, jette un œil à l’assemblée, puis finit par lancer : «  Eh bien, pour tout dire, l’émergence du fuchsia reste difficile à dater. Quant au Rose, il est apparu au IIIème siècle avant JC, en Flandre-Occidentale. » Dans la salle, des sourires viennent de se plaquer.

Sur le quai de la gare, alors que la soirée est entamée, l’historien se plante. Il appelle donc sa chère-et-tendre : « Allo mon amour… oui, dis, je suis vert… oui, enfin non, je vois rouge. Je viens de rater le corail pour Orange. Je serai tard, ne m’attends pas. »
Après avoir raccroché, j’imagine qu’elle regardera l’aquarium à coté. Son regard restera accroché à cette danse aquatique. Et peut être qu’un sourire flottera sur ses lèvres. Oui, car si elle sait dorénavant que son homme est professionnellement déformable, il n’empêche qu’il existe pour elle. Et en cœur de nuit, il la rejoindra. Alors, ce soir là, le sommeil ne tarda pas à la prendre.




                                                                                                    Hector Hyppolite.


Trêve de plaisanteries.

            Désormais, le-jeune-homme-que-je-suis sait que ce bouquin-sur-les-couleurs existe. Un jour, je vais m’y coller, en faire mon miel ; Et peut être qu’il ressortira quelque chose de cette lecture, qui-sait ?

Maintenant, je tiens à dévoiler quelques découvertes.
Tout d’abord, les repas de famille m’ont appris que les femmes préfèrent boire le rose avec un accent sur le (e), mais aussi que les hommes préfèrent le rouge au verre.
Ensuite, avouons-le, ce sont les jeux de société qui permettent de repérer les mordus de couleurs. Là, il faut se concentrer sur la case départ. Il faut voir l’avidité dans les yeux au moment de choisir les pions. Certains se comportent comme de mauvais espions. Ils trépignent, comme lors d’une soirée à 6, autour d’une pizza esseulée. Les sinistres diront qu’il s’agit là d’une enfance mal conjurée. Personnellement, je trouve ça plutôt charmant.


Mais tout ce bla-bla ne serait rien sans nous amener Ici et Maintenant. Je vous parle d’un endroit où l’Ecrivain se distingue du chroniqueur. Je vous parle du Roman. Et je vous propose de démembrer une mangue, en compagnie de Dany Laferrière :

« J’ai trouvé dans le garde-manger trois bonnes mangues bien mûres. L’odeur a failli m’étourdir. J’ai placé les mangues dans une cuvette blanche à moitié remplie d’eau. (…) Ce sont vraiment de bonnes mangues, bien juteuses, bien en chair, avec un minuscule noyau. Rien ne sent aussi bon qu’une mangue presque trop mûre. Avec des taches noires sur la pelure. Ce qui est pratique avec la cuvette d’eau, c’est qu’on peut laver ses mains au fur et à mesure qu’on dévore les mangues. Il y a deux façons de manger des mangues. En les épluchant avec un couteau pour éviter de se salir les mains, comme fait tante Renée. Ou en se lançant dans un corps à corps avec le fruit, l’attaquant de tous côtés, buvant son jus, dévorant sa chair, se salissant le bras jusqu’au coude. C’est ma méthode ! »








Retour au chroniqueur.

            Là je me retire. J’éteins l’ordinateur. Je sors du roman. Je vais voir ma grand-mère qui fait ses mots-croisés à coté, et je lui demande : « C’est quand la saison des mangues ? » Elle me regarde, surprise, puis me dit : « mmh... je ne sais pas… mais il reste des clémentines. Sers-toi. Sers-toi. » Alors, je n’ai pas le temps d’en saisir une, qu’elle m’incite déjà à en reprendre. Alors, je consacre le restant de ma journée à faire taire les clémentines et à démembrer les monochromes. Alors,



la nuit entamée,
sous mes yeux,
la feuille s’est envolée.










* J’espère que le clin d’œil à l’Afrique du Sud n’est pas trop masqué.

2 commentaires:

  1. Socrate était hideux, vraiment laid, mais tout de même, quelle beauté !11 mars 2012 à 20:05

    Je comprends jamais rien mais j'aime bien :) !

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  2. J'avoue que je pousse parfois le bouchon un peu loin,
    mais j'espère bien trouver une cohérence au fur et à mesure.

    Vu ton pseudo, je pense que tu pourras venir me poser des questions dans la vraie vie, sur le pourquoi du comment.

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