Emmanuel Dongala - Photo de groupe au bord du fleuve (2010)



Emmanuel Dongala précise lui-même que c’est en voyant des casseuses de blocs de pierre au bord d’un fleuve africain que l’idée de « Photo de groupe au bord du fleuve » a émergée. Il y a fort à parier qu’il a observé ces femmes avec une curiosité couplée d’une incroyable empathie.

D’emblée, l’angle de narration surprend :
« Tu te réveilles le matin et tu sais d’avance que c’est un jour déjà levé qui se lève. Que cette journée qui commence sera la sœur jumelle de celle d’hier, d’avant-hier et d’avant-avant-hier ».
« Tu », c’est Méréana, une casseuse de pierre parmi d’autres. On comprendra par la suite que toutes ces femmes ont des histoires entachées de certaines fêlures, qui un jour ou l’autre, ont fini par les amener à ce travail de forçat.

En l’occurrence, cette crasse routine va voler en éclats du fait d’un évènement extérieur. En effet, ces femmes apprennent vite que la construction d’un aéroport dans les environs fait monter en flèche le prix du gravier.
Avec fébrilité, et sans trop y croire, elles vont alors entamer une lutte pour faire valoir leurs droits. Méréana sera alors, bien malgré elle, le porte-parole providentiel de cette revendication.

Un tel récit aurait pu être lacrymal, mais c’est précisément l’absence de pathos qui laisse place à cette empathie salvatrice. Il y a en plus cet humour mordant qui ne disparait jamais vraiment. Je veux garder à l’esprit la rencontre entre Méréana et son ex-mari (député véreux), car elle est d’une cruelle drôlerie.

« Photo de groupe au bord du fleuve » est une anti-carte postale.
Il s’agit d’ailleurs moins d’un roman sur l’Afrique que sur les femmes.
Leurs luttes intimes et collectives. Leurs confidences.
Comme cette déclaration d’une mère pour sa fille accablée d’une grossesse précoce et non désirée.

« - Ma petite fille, pardonne moi si mes paroles t’ont blessée. J’étais sous le choc. Je partage la responsabilité de ce qui t’est arrivé. Après tout, tu n’es qu’une enfant. J’aurais dû te parler des choses réelles de la vie, t’expliquer les métamorphoses qu’allait subir ton corps quand, affolée, tu étais venue me faire part de tes premières règles, coulée de sang dont tu ignorais les raisons ; t’informer sur les sentiments et les désirs qui allaient accompagner  la croissance de tes seins et le renflement de tes fesses ;(…) J’ai passé mon temps à te prêcher des vertus abstraites comme l’Amour, la Fidélité, l’Abstinence et tout le reste alors que tu ne savais même pas ce que c’était, un simple amour adolescent. »

Si les écrivains, comme toute autre personne se divisent entre ceux qui écoutent et ceux qui n’écoutent pas, Dongala appartient manifestement aux premiers.

Je disais un peu plus haut qu’il s’agissait moins d’un roman sur l’Afrique que sur les femmes ; à plus forte raison, il est moins question ici d’une ode aux femmes qu’une ode à la féminité.

Le fait que ces 3 mots figurent en ouverture ne font que confirmer ce sentiment :

à ma mère

Roman époustouflant.

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