Le phosphore.
A l’origine, c’était un instant semblable à un dimanche. Avant le choc, vif et inattendu, le bus tentait d’atteindre sa vitesse de croisière. Le soir même, je mesurerai le changement. Non seulement un geste précieux venait de m’être dérobé, pire, pour cela, j’acceptais de commettre un geste irrémédiable.
Je pensais à cet acte précieux qui ne se répétera plus. L’opération était pourtant rodée. A chaque nouvel appartement, il suffisait de graver un mot dur, sur papier, nuancé par la décontraction : « Pas de pub, merci ». Comme le phosphore, brillant en mourant, ces instants perdus faisaient disparaitre cette création au rabais. « Pas de pub, merci ».
Hors du bus, la photo d’une berline m’a accroché. Au bas de cette image, trône un slogan piquant : « Tant qu’à être discret, autant que ça se voit ». Du marketing de génie. Chacun peut traduire. « La discrétion est morte » se dit le fossoyeur. « La discrétion vaut moins que le tape-à-l’œil » se dit le relookeur. « N’enterrons pas la discrétion sans souci du cosmétique » réplique le relookeur-fossoyeur.
D’abord, je constate que cette affiche veut apprendre la discrétion à la Discrétion, ce qui équivaut à apprendre à nager à un poisson. Cependant, il ne faut pas s’arrêter là. Le langage publicitaire est laconique en surface, volubile en profondeur. Donc, en fait, cette publicité refuse d’opposer le couple de l’extravagance et de la discrétion. Ailleurs, d’autres s’en chargent pour la vitesse et la lenteur, ainsi que pour le bruit et le silence. Parce qu’en fait, la discrétion, la lenteur et le silence n’existent pas sans l’extravagance, la vitesse et le bruit. Grâce à cette affiche, je découvre que la publicité n’est plus méprisable. Si ce canal est une soumission, il soumet aussi des idées. Plus tard, je redescends du bus en me disant que, non seulement la publicité est digne d’intérêt, mais en plus, que les messages essentiels se tiennent souvent dans les angles-morts.
Murmures en fond de verre.
Pour accrocher un public, il faut soit donner l’impression d’être bon (brillant masqué) soit l’être véritablement (brillant démasqué). Evidemment, le masque sera plus ou moins utile selon la qualité du travail.
Les chroniqueurs comme les sportifs sont bardés de rituels. En amont, chacun décline sa douce perversion. Elle, se gratte les lobes d’oreilles, lui, médite pendant 128 secondes, l’autre, s’enfile d’une traite un verre d’eau glacée - un truc un peu fou quoi. C’est la rencontre avec un public qui produit ces tics. L’écrivain sait qu’il devra parler du lecteur au passé s’il le prend pour un con. Pourquoi s’attarder en un texte méprisant alors que d’autres sont dénués d’arrogance et sûrement meilleurs ? Les cinéphiles savent d’ailleurs que « les cons osent tout, (et que) c’est même à ça qu’on les reconnait ». Avoir cette réplique à l’esprit permet de rester silencieux face à la Connerie, mais surtout de mettre en doute sa ligne de conduite, en se demandant : suis-je capable de tout oser ? Ne pas toujours avancer en ligne droite est une manière d'être, nous ne sommes pas des débiles fonçant sur l'autoroute.
Imaginons un monde où les noms d’artistes et de styles musicaux auraient tous une tournure à coucher dehors. J’écrirais alors que le dubstep de SBTRKT évoque le krautrock de QZRPIR qui s’accoquinerait au shoegazing de RASQJS et vous auriez l’impression que je me fous de vous. En plus, ces vieilles croûtes freineraient la fluidité de votre lecture. Mais parfois, c’est malgré elle que la chronique s’aventure sur un terrain risqué.
Mes fins de toi sont difficiles.
Le masque est un objet aussi énigmatique que le chapeau. Pour bien le porter, il est préférable d’aimer l’art vénitien, ainsi que les citrouilles et les jeux sexuels gratinés. Qui osera dire à l’artiste sado-maso fêtant halloween à Venise qu’il porte mal le masque ? Personne. Mais peut être moins par retenue que par l’absence d’un tel hurluberlu dans son entourage (… demander à l’INSEE si un tel recensement existe …).
La première écoute de cet OVNI nommé SBTRKT (prononcer seub-tract) m’a laissé sur ma faim. Peut être parce que cette pochette brillait en promesses épicées. Accablé de sobriété et déçu de l’absence d’extravagance. Pourtant, les écoutes qui suivirent eurent plus de gueule.
La simplicité est complexe à atteindre. Idée banale et dure à assimiler. Ici, ces fragments lunaires se dévoilent tels des mantras lancés dans la nuit. L’enfant que j’ai été se souvient vouer un culte aux lucioles qui brillaient les soirs d’été. Beauté étrangère à elle-même. Je parle de la voix cotonneuse de Jessie Ware sur « Right Thing to Do »*, du chant rêveur de Sampha Sisey nappé de touches colorées sur « Hold On ». Juste de petits ruisseaux désirant rester eux-mêmes.
Peut être que les chroniques comme les journées n’existent pas pour être réussies ou ratées, l’idée est plutôt d’y être pleinement présent.
* Sosie de The XX (Preuve de l’attraction des acronymes).
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