Nabokov + Kubrick = Variations autour de Lolita.



 
Lolita par Nabokov.
            

            J’étais cet amoureux de foot, ignorant les frissons du championnat anglais, j’étais ce passionné de jeux-vidéo, étranger aux ronronnements d’une Playstation. Tout ça est faux. Je veux dire que, j’étais cet apprenti lecteur contournant la littérature russe. Mais Tchekhov, Tolstoï et Dostoïevski attendront : Faut pas pousser. Ce revirement se négocie avec Vladimir Nabokov, naturalisé américain en 1945. Et en lisant sa biographie, j’apprends qu’il a découvert une nouvelle espèce de papillon (le Nabokov Bleu) et traduit en russe, l’œuvre de Lewis Carroll – qui n’a, comme la plupart des mathématiciens du XIXème siècle, jamais couru le 100 mètres.

Mais revenons plutôt à cette question. Aujourd’hui donc : c’est comment une femme ? Jeanne Moreau, parlant des 60’s,  nous dit que les hommes s’interrogeaient ainsi : « Qu’est ce qu’une femme ? Une pute ou une mère ? ». Ce contexte explique une parcelle de surprise éprouvée en lisant « Lolita ». Entre temps, de l’eau a coulé sous les ponts.
Mais en fait, quelque soit l’époque, il n’est jamais simple de passer 500 pages dans la peau d’un sociopathe. Les menaces de tortures, adressées à Bret Easton Ellis, à la sortie d’« American Psycho » (1991), le disent bien. Si la langue famélique d’Ellis n’a rien à voir avec la langue gourmande de Nabokov, une filiation existe quand même, entre ces romans. Car ils parviennent tous deux à esthétiser la cruauté, et donc, à créer, un malaise en fond de lecture.
Ces écrivains ont compris ce que certains branquignols ignorent. Particulièrement à l’abord de sujets sensibles, l’esthétique pour l’esthétique ne vaut pas un kopeck. Ces deux là ne déséquilibrent le lecteur que pour le rendre plus moral. Ellis te dit « Ne deviens pas cet être creux, qui préférera toujours l’objet à l’humain », Nabokov te dit « Quelque soit sa forme, ne te laisses pas constamment enfumer par ta sexualité».

                            En étant attentif, vous verrez quelques éclats moralisateurs, ici et là.

            Le coffret rose fuchsia ne doit pas faire illusion, car « Lolita » a échappé de peu à la censure. Alors que, dès 1955, les librairies françaises le vendaient, le roman rencontrait un succès clandestin en Grande Bretagne, créant même des frictions diplomatiques.
Bref aperçu de l’histoire : Humbert Humbert, professeur de lettres, se laisse approcher par Charlotte Haze, afin de séduire sa fille, âgée de 12 ans 1/2 : Lolita. Humbert commence alors à faire des « libidirêves » sur « sa précieuse doucette » … et le talent, pour l’instant, m’arrête là.
Seulement, pourquoi des mères de familles, biens sous tous rapports (comme dit la télé), décident d’offrir un tel objet à leur fils, ou pire, à leur fille ? Eh bien, peut être ont-elles compris, qu’il n’est jamais indécent de parler d’indécence, qu’il n’est jamais criminel de parler du crime, qu’il n’est jamais pédophile de parler de pédophilie. C’est sûr. Ensuite, la consécration de « Lolita », comme une œuvre majeure du dernier siècle, décomplexe. Mais surtout, les féministes ne sont pas les seules à remarquer que, si la vie actuelle fait peu de cadeaux aux hommes*, elle leur en fait toujours plus qu’aux femmes, qui, elles mêmes, en reçoivent davantage que les jeunes femmes. Il suffit d’ailleurs, de prendre les transports en commun, pour le remarquer. Peut être même que « Lolita » émet, depuis plus d’un demi-siècle, un écho à ce triste phénomène

                                                                                                                                         Si c’était possible, j’inscrirais en lettres d’or, cette phrase de Nabokov : « A mes yeux, une œuvre de fiction n’existe que si elle suscite en moi ce que j’appellerai crûment une jubilation esthétique, à savoir le sentiment d’être relié quelque part, je ne sais comment, à d’autres modes d’existence où l’art (la curiosité, la tendresse, la gentillesse, l’extase) constitue la norme. »

* En 2011, le gouvernement Papandréou a annoncé que, sur une même période, le taux de suicide en Grèce avait augmenté de 40% par rapport à 2010. 





Lolita par Kubrick.

            C’est en entamant la deuxième partie du roman, que je libère le DVD de la voracité des acariens. Je me l’étais procuré, dans une période, un peu louche. Il ornait alors un hors série des inrocks consacré à Stanley Kubrick.

Si le passage du technicolor au noir et blanc reste délicat, le film est, bel et bien, le joyau annoncé. C’est d’abord Charlotte Haze (Shelley Winters) qui impressionne, dévorée par son propre désamour. Humbert Humbert, lui, est impeccablement campé par James Masson, tout en perversions refoulées. C’est d’ailleurs dans ces mêmes eaux, que fraie un inquiétant caméléon nommé Clare Quilty (Peter Sellers). Quant à la malicieuse Lolita, elle est plus vraie que nature, grâce à la prouesse Sue Lyon.

Et puis, comme souvent chez Kubrick, les décors sont extrêmement fouillés. D’ailleurs, dans le roman, je ne me souviens pas de ce Drive-in et de cette scène de mains dans la voiture. Ces mains se cherchant ou se fuyant disent beaucoup, comme un concentré chimique, durant 30 secondes.


PS : Pour moi, la phrase essentielle de 2011 ne vient, ni d’un nouvelliste uruguayen, ni d’un graveur macédonien, mais d’un type génial : « Soyez insatiables, soyez fous. » Steve Jobs.

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