Contre le mur.






Quelque part sur la plage, il doit y avoir un couple. Contre le mur, main dans la main, il est difficile de savoir à quoi ils pensent, seulement ils sont là, ensemble, les pieds dans le sable.  Quelques mètres devant eux, des fragments de chips ont rameuté les mouettes. Bientôt, elles volent à contre-jour, se prennent le bec, et alors que le soleil réchauffe la pierre, leurs cris retentissent dans le ciel comme un éclat de cristal. 

Derrière, j’aperçois une voiture qui se gare en épi, un cabriolet. Un homme en descend. Dans la lueur, il se déshabille hâtivement. Dévalé la dune, arrivé à l’eau, il se fraye un crawl. Quelques picotements se font certainement ressentir. Pourtant, au fur et à mesure, une plénitude se dessine. Il étire son corps, allonge ses mouvements et peu à peu, une onde se propage à son esprit. Au retour, il alternera les styles et diminuera le rythme.

Un temps. Je finis par m’installer contre le mur. Le couple n’est plus là et j’entends le moteur du cabriolet qui s’éloigne. Je repense à cet emballement. Rétrospectivement, j’imagine la scène : Il attendait au feu rouge tout à l’heure. La fenêtre ouverte, l’air léger, son envie fait son nid, son sang ne fait qu’un tour.

Plus tard, en deux temps, trois mouvements, je sillonne le chemin qui mène à la colline. En arrivant, je me dirige vers mon bureau pour y prendre mon bloc-notes. La nuit s’annonce doucement. Alors avant d'oublier, je note sur un front de page : Le mur, les chips, la nage, préliminaires à l’amour ?


La belle ouverture.



Pour un premier roman :

A mes parents,
qui m’ont appris à lire et à écrire.




Je n’en vois pas d’autre.

Débordements sur le carrelage.




Arrêt médiathèque.

J’ai loupé la sonnerie du réveil tout à l’heure. Je me sens un peu démâté en arrivant à la médiathèque. L’allée principale me semble interminable. A la porte tout de même, je comprends vite qu’il faut tirer plutôt que de pousser. Je passe devant Sylvie en lui faisant un signe de tête. Et je décide de m’arrêter aux toilettes pour éponger quelques perles de sueur. Dans cette pièce étriquée, la lumière est atroce. Je regarde mon reflet. Fleur de peau, teint nébuleux, traits filandreux, c’est tout moi. Là-haut, je finis par m’asseoir derrière mon bureau. Rongé jusqu’au crane, j’imagine qu'on m’enfonce des clous dans le cortex. Je sors mes lunettes du tiroir, puis je feuillette un Bukowski. Pour mes 44 ans, maman m’a offert Journal d’un vieux dégueulasse. Elle a toujours eu beaucoup d’humour... Le problème, c’est que vu mon état, les phrases se chevauchent comme des bêtes. Pas surprenant donc que je sois sur le point de roupiller quand une voix vient me cueillir. Elle me dit que c’est pour le renouvellement de sa carte. Procédure classique, lui dis-je, ce sera rapide. Je tente quelques blagues le temps qu’elle me donne ses coordonnées, la belle foirade.





  

Tête de caboche.

Je déjeune souvent avec Sylvie. Nous avons pris l’habitude de nous retrouver dans la même brasserie, aux mêmes places, autour des mêmes discussions. Le plus souvent, il est difficile de l’arrêter. Je tends donc l’oreille : …tu verrais, la nouvelle émission de W9, la fille a du charme, c’est sûr, mais les mecs, pas un pour racheter l’autre, la blondasse va partir avec les nouveaux, c’est sûr, des beaux gosses, tu verrais… Son enthousiasme m’impressionne. Alors, une fois chez moi, je me surprends à regarder « la belle et ses princes presque charmants ». 10 minutes passent puis je coupe le son. Ces effets de caméras, ce ralenti, cette piscine, cette blonde, ces flashs sont imbuvables. Je m’apprête donc à éteindre le poste quand la voix off réapparaît. Elle dit que le concept est révolutionnaire. Je lève les yeux au plafond. Elle m’annonce que Marine devra choisir l’homme de sa vie, puis m’indique qu’elle choisira entre des ploucs aux grands cœurs et des musclors aux regards de bovins. Tout de même, je finis par la faire taire. Les images continuent à défiler. Je me descends une bouteille de Vieux Papes, puis deux, puis trois... pour s'enfiler cette mélasse me dis-je, il faut la prendre à 13,7°. Plus tard, dans la maison, la température deviendra extrêmement faible et je finirai par m’endormir sur le carrelage. La TV quant à elle, se remettra d'une gueule de bois carabinée, dans une poubelle de la cave.

Matinale, courte escale.


Sous le menton,

oranges en mains,

à lire sur le ponton,

sous un soleil de juin.


                                                Agnès Boutteville.


La Courbe de tes yeux

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Paul ELUARD, (1926)


Buzz sur la ruche.



Dehors, 

mon grand-père,

un bruit de tondeuse.


 
                                                                                                                                                Thabor. Rennes.

Le souvenir prend racine.




En pleine lucarne.


Tous les matins du monde. XVIIème.

                                                                                   


Virtuose parmi les virtuoses.

            Adolescent, les intellos me faisaient un peu moins fuir que les fachos. Je me souviens : je préférais GTA à Dumas, et j’étais aussi souvent plongé dans un bouquin qu’un marsouin. Le bruissement de mes veines pouvait cramer tous les romans du monde. La littérature ? Je m’en tapais complètement. En été, et peut être même surtout en été, elle me restait étrangère. Face à cette poussière, je disparaissais sur mon skate avec 2 à 3 poussées toniques.

Dorénavant, je cuisine les contradictions. Et je vais même être très clair. Ce ne sont pas les dérouillées à Fifa qui me priveront d’une aventure telle que « tous les matins du monde ». Cette jouissance vécue, cette apothéose, me rendent envieux. J’envie atrocement la virtuosité de Pascal Quignard, car elle n’est pas juste limpide. Elle n’est pas juste maîtrisée. Elle est belle à dilapider toutes les larmes de son corps.



Les adieux à la reine. XVIIIème.

                                                                                                     


Rendez-vous au XVIIème.

L’histoire commence en 1650 quand Monsieur de Sainte Colombe, à la mort de sa femme, se voit contraint d’élever seul ses deux filles. L’idée de leur enseigner la viole fait alors son chemin, ce qui fera naître une complicité. Cependant, l’harmonie se troublera à l’arrivée d’un nouvel élève, Monsieur Marais. Sainte Colombe se montrera particulièrement réticent avec lui ; Et il sera difficile de savoir si cette réticence vient de son amour de l’art, ou de la volonté de protéger ses enfants.

Histoire banale si ce n’était cet incroyable talent. Ici, la plume allie douleur et grâce : « Je ne sais comment dire, Madame. Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids. » Là, elle se dévoile carrément : « Elle avança ses doigts. Ils se touchèrent et ils sursautèrent. Puis ils étreignirent leurs mains, avancèrent leurs ventres, avancèrent leurs lèvres. Ils s’embrassèrent. »

Finalement, l’abandon royal : « A l’ instant où le chant des violes monte, ils se regardèrent. Ils pleuraient. La lumière qui montait dans la cabane par la lucarne qui y était percée était devenue jaune. Tandis que leurs larmes lentement coulaient sur leur nez, sur leurs lèvres, ils s’adressèrent en même temps un sourire. Ce n’est qu’à l’aube que Monsieur Marais s’en retourna à Versailles. »




L’autre s’en tamponne les amygdales.




17 décembre 2011 :

Disparition d’une vieille crevure.



                                    Pyongyang.



En Corée du Nord,

obligation de pleurer avant de passer à table !




Pour une femme pressée. *



  La course.

            Il y a 10 minutes, dans cette ruelle, vous sortiez d’un bâtiment. Vos yeux fatigués, sentant ma présence, se sont furtivement posés sur ma droite. Puis, vous m’avez distancé en accélérant le pas. Et dans votre empressement, vous avez laissé tomber un bout de papier. Je l’ai regardé de haut. Au passage, votre foulée ne me permettait pas de vous rattraper. D’ailleurs, vous avez même commencé à courir. Et l’écharpe grise, que vous portiez à la main, a volé sur le trottoir. À l’intersection, une voiture vous attendait. Au volant, je devinais une silhouette d’homme. Puis, vous avez démarré sur les chapeaux de roues.


Terre à terre.

Quand je suis revenu sur vos pas, la rue était déserte. J’ai voulu comprendre. Alors j'ai ramassé votre papier, imaginant vos mots précipités. Je soupçonnais une certaine sauvagerie. Je m’attendais à un « Adieu. Les Fidji valent mieux », voire, au strict minimum, à un « Rendez vous aux Galápagos »

De retour chez moi, je commence à vous écrire. Et si votre mémoire tient la route, je sais que vous êtes en train d’acheter « beurre, jambon blanc, 3 tranche de viande, 2 tranches d’escalope de dinde, fromage, bananes, 2 ½ l de lait entier produit vaisselle U ». Bien que je ne vous connaisse pas, je me doute maintenant que votre vie est bien plus terre à terre que votre attitude ne pourrait le faire croire. Madame, sachez que vos apparences sont parfois trompeuses.


* Pour gagner du temps, la prochaine fois, n’oubliez pas que 2 demi-litres font généralement 1 litre.





Le roi du bowling.



                                                                                                                                   Frères Coen.


La scène se déroule dans un Quick.

Au fond à droite,

 une fille et 3 garçons discutent.

Après avoir goûté,

à la crème du cinéma français,

ils discutent.
 


Et l’un d'eux lance :

De toute manière, on ne peut pas être bon partout.

On ne peut pas être bon au bowling et en littérature.


S’empressant d’ajouter,

à l’attention d’un blogueur :

Toi c'est sûr, tu dois être bon au bowling !







Alors, l’autre répond :

Figure-toi que l’autre jour,

j'y étais avec Marc Levy.


Strikes sur strikes,

il enchaînait,

À plat de couture,

il m’a battu.




L'éclaircie du lundi.




Qu’est ce qui ne passe pas à la TV ce soir ?






L'essentiel.

Une véritable couveuse.



Cousue main.

Chez mes grands-parents, chez mes parents, mon frère, ma sœur, chez moi, surtout chez moi, je lis les ouvrages d’André Comte-Sponville. Ces chemins revigorants rendent mes idées plus alertes, plus vives. Sa pensée complexifie la mienne, tout en simplifiant ma conception de l’existence. Ce qui n’est pas une moindre chose.








L’aventure.

« La vie est une aventure, elle peut l’être, elle doit l’être. S’accepter, oui, mais pas s’agenouiller devant soi, ni se coucher. Il s’agit de vivre : il s’agit d’avancer, de progresser tant qu’on peut ».


L’art.

« Prétendre faire de sa vie une œuvre d’art, ce serait se tromper sur l’art ou se mentir sur la vie. »


Le sexe.

« Pendant un temps, on nous a dit que le sexe c’était le diable, et puis voilà qu’on a voulu en faire le bon Dieu… Un ridicule chasse l’autre, mais le ridicule demeure. »


Le désir.

« Le désir n’est pas autre chose que la force de vie en nous, ou la vie comme force. C’est puissance de jouir, et jouissance en puissance. »


L’amour.

« Tu n’es aimé que lorsque tu peux montrer ta faiblesse, sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. »


Et la vie.

« La vie ne cesse de s’apprendre elle-même, de s’inventer elle-même, jusqu’à la fin, et la philosophie n’est qu’une des formes, en l’homme, de cet apprentissage ou de cette invention. C’est donc la vie qui vaut. »


La descente en rafting.



Etre âgé d’une vingtaine d’années,

et se soûler,

aux j’aurais-bien-aimé,

c’est comme envisager,

une descente en rafting à l’âge de 90 ans.





C’est une belle connerie.



Niveau à bulle.



Outil incontournable,



y compris pour bricoler les lettres.


Tout bouge autour de nous.

Dans un monde,

où la parole serait donnée,

aux terrains de tennis,




ils n'auraient que ces mots à la bouche.

Sur toutes les coutures.


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.
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Balbutiements.

            Avant les cours, ce vendredi, nous nous sommes retrouvés en milieu de jardin. Nous étions une dizaine, 6 filles et 3 garçons. A un moment, Jonathan s’est levé du banc et a commencé à gesticuler. Il a lancé les rires. Les mimes ont volé.  Je ne sais pas si c’était improvisé, mais les filles ont participé de bon cœur. Je ne l’avais jamais vu comme ça, il était survolté. En tous sens, il bougeait. Il jubilait. Les vieux nous regardaient bizarrement. Certains riaient sous cape. D’autres faisaient semblant de nous ignorer. Improbable vu le boucan de l’affaire, n’empêche qu’à passer les abeilles en revue, nous avons fini par arriver à la bourre en anglais.






Sur l'oreiller.

F.A. C.E. B.O.O.K. La curiosité m’assaille. Des photos fraîches apparaissent et je les observe. Sur toutes les coutures, mon cœur se réchauffe. Je la vois. Sandra sourit sous cape. Elle me regarde, c’est sûr, elle me regarde. En fait, je ne sais pas. Peut être que mon cinéma intérieur me joue des tours. Il faut que je tente ma chance un jour, avant de la voir partir avec un autre.

Je jette un œil aux photos publiées entre temps, et il y en a. Je reviens à Sandra. C’est plus fort que moi. Je reviens à Sandra. Cette fille est incroyable. Je dois aller lui parler avant que Jo ne s'en mêle. On ne badine pas avec le lundi. J'y pense. J'y pense.

A minuit encore, je pense à elle. Je décide d’éteindre l’ordi. Avant, je m’offre juste une dernière photo. Sur le banc, elle a les yeux mi-clos. A un moment, mon regard dévisse. Il y a un type à coté qui fait mine de lire un bouquin. Je le reconnais. C’est un livre sur Lucrèce*, on l’a étudié cette année avec l’autre taré. Franchement, quelle maladie mentale faut-il avoir développée pour lire ce genre de truc ?


 * Le Miel et l'Absinthe, d'André Comte-Sponville (Le Livre de poche, 243 p., 6 euros).