Les zigzags et la libellule.




             Ce serait une forêt où il existerait une descente couverte de feuilles. Une descente rocailleuse bordée d’arbres robustes. L’endroit serait drapé de couleurs jaunes orangées. Et on pourrait dire que, depuis longtemps, la libellule aurait pris la tangente. Les arbres s’y tiendraient dans leur simple appareil. Il y aurait pour l’essentiel des cembros dont les pommes de pin dégringoleraient sans cesse. Certains écureuils sauteraient de branche en branche. Tandis que plus bas, à fleur d’écorce, un cours d’eau viendrait fendre en deux, ce joli monde. Il creuserait son sillon en formant des motifs improbables et la terre tremblerait d’érosion. A la surface de l’eau, on verrait se former des nervures éphémères alors qu’en profondeur, brilleraient des galets mordorés. On serait aux premières heures d’une journée d’automne et le fond de l’air serait doucement pimenté. On entendrait les entrailles du torrent se piquer subitement d’une colère. On imaginerait le calvaire des poissons. Puis on découvrirait, expulsés du lit, des briquets, les restes de smarties, des préservatifs. Et en acceptant de continuer sur la face nord, on sentirait les courants prendre force. On les verrait cavaler sur une centaine de mètres, onduler méchamment, puis venir s’abîmer dans un océan que l’on qualifierait d’Atlantique.
La veille au soir, les enfants auraient fixé le rendez-vous au col de la chapelle. Aux aurores, ils seraient partis sur la route, enfourchant leurs vélos. Ils auraient formé de petits groupes en attendant que toute la troupe ne se trouve au complet. Alors peut-être seraient-ils passés devant les maisons bariolées, les parterres de fleurs écrasés, et avant de quitter le bourg, peut-être auraient-ils vaguement regardé l'école. Ils auraient en tout cas grimpé le premier col, et au pied de la chapelle, ils auraient bifurqué vers la forêt. En entrant dans les bois, l’ombre des arbres serait venue obstruer leur vue. Au-dessus d’eux, les cimes s’étireraient, et il leur faudrait un temps fou pour s’habituer au changement de luminosité. Pourtant, leurs pupilles perceraient peu à peu l’obscurité, et au loin, ils entendraient claquer l'écho feutré des carabines. Sous les mastodontes, les enfants continueraient à avancer en évitant des racines pour le moins sournoises. Elles les feraient souvent tomber, mais, épaule amochée et genoux écorchés, ils repartiraient de plus belle. L'énergie déployée serait d'ailleurs si grande que, très vite, ils apercevraient le sommet de cette sublime descente. 
Sur place, ils se poseraient sur la terre ferme et regarderaient le paysage, avec en bas, leur tremplin et au grand loin, la cabane des pêcheurs. Pendant ce temps, l'un d'eux irait déterrer le paquet de cigarettes. Ensuite seulement, ils se tairaient de longues minutes, avec au creux du ventre la certitude que, dorénavant, la suite des évènements ne tiendrait plus qu'à eux.


2 commentaires:

  1. Ton écriture s'améliorerait que ça ne m'étonnerait pas.

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  2. Merci,

    je ne sais pas qui tu es mais ton commentaire fait plaisir à voir.

    Ces derniers temps, des personnes parlant de mes écrits ont utilisé des mots qui m'ont durablement étonnés.

    C'est aussi pour ça que je continue à publier une part de mes écrits.

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