Le
disque touche à sa fin pour laisser le studio vide de bruit. Les cuivres sont
partis, le temps retrouve sa place. Assise sur le canapé, Irina épuise ses
fonds de cigarettes. Le calme n’est perturbé que par le gazouillis des oiseaux
sur le bord de la fenêtre. Irina est assise sur son canapé, face à l’armoire. Elle
aperçoit régulièrement la trace laissée par les avions dans le miroir de son armoire. Nous
sommes un dimanche soir de fin d’été. Le soleil brille haut dans le ciel.
Pourtant, la jeune femme apparaît comme diluée en elle-même. Elle a ce faux air
lessivé qu’affichent parfois les vieilles personnes. Les volutes de fumée
viennent tracer de fines arabesques autour de ses cheveux cuivrés. Elle est
belle, terriblement belle, même avec cette légère tristesse qui s’infiltre en
elle.
L’appartement est
en désordre. La vaisselle et les livres encombrent le coin cuisine. La
télévision grésille et le carrelage est tapissé de magazines froissés. Au
plafond, le plâtre commence à se fissurer. Derrière la fumée, Irina voit trouble,
tout se brouille. Elle entend le cliquetis métallique des trains et sent la
vague mûrir. C’est l’avant-garde de la migraine, comme un homme qui se prépare
à lui enfoncer des clous dans la tête. Au bord du déluge, elle décide de finir
toutes ses cigarettes. Habituellement, elle aime ces instants où elle peut
fumer tranquillement. C’est comme de s’enrouler dans une odeur de liberté. Elle
aime sentir le temps s’écouler à la marge. Seulement là, elle a un pressentiment
qu’elle ne peut apaiser. Ses pensées se bousculent comme des rats obèses dans
une petite cage. Elle pense à son petit ami parti en France. Il ne lui a envoyé
aucune nouvelle. Son portable reste désespérément éteint. Pour ça, elle le
déteste. Pourquoi est-il si distant ? Irina ne connaît rien à la France mais
ses proches l’ont prévenu, il ne faut pas se fier aux françaises. Elles sont
sournoises et manipulatrices. Il faut s’en méfier comme de la peste. Irina
n’est pas idiote. Elle se doute qu’on lui a dit tout ça pour attiser sa
jalousie, mais quand même, n’y a-t-il pas ici une part de vérité ? Elle pense à
cette actrice française qui a raflé l’oscar de la meilleure actrice. Elle
aimerait avoir cette même beauté, simple et immédiate. Elle aimerait lui
ressembler car depuis toujours, Irina a jeté un voile sur elle-même. Son corps
lui est devenu un vulgaire ennemi. Et elle est maintenant plus inquiète que
jamais. Honnêtement, n’est-il pas vrai que les françaises sont les plus
séduisantes ? Irina les imagine en robe d’été, subtilement parfumées. Elle les
voit tourner autour de son ami et lui faire les yeux doux et son coeur se
resserre. Alors bientôt, elle touche le fond du paquet. Il est 22 heures quand
elle remarque qu’elle a épuisé ses Lucky Strike. Elle se lève et réagit
soudain. Aujourd’hui, le parc Loshytsa restera ouvert toute la nuit. C’est la
fête nationale.
Au beau milieu du
parc, Irina reste un long moment à observer l’activité autour de l’étang. Il y
a dans l’air une odeur de barbecue qui ouvre l'appétit. Quelques personnes
ramènent leur canoë-kayak sur terre. Des enfants courent sur les buttes
d’herbes. Les artificiers s’activent sûrement quelque part. Même si en réalité, l’immense
majorité des gens n'est là que pour flâner.
Irina est
maintenant assise sur un banc face au plan d’eau. Instinctivement, elle cherche
du regard les barques habituellement arrimées ici, mais aujourd’hui, elle ne rencontre que le clapotis de l’eau. La lune se cache derrière les nuages et
sans s’en rendre compte, Irina se laisse embarquer par le sommeil.
Il est minuit
passé quand elle rentre à l'appartement. Un signal lumineux lui indique la
présence d’un nouveau message sur son répondeur, mais elle se sent si bien après cette promenade, qu’elle ne le remarque pas. Le fil est rompu. Les songes à
nouveau.
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