Haruki Murakami - 1Q84 (2011)



J’attendais depuis plus d’une année la traduction de cette œuvre d’Haruki Murakami.
J’étais resté sur l’excellent recueil de nouvelles « l’éléphant s’évapore » et le récit « autoportrait de l’auteur en coureur de fond ». Dans ce dernier, l’écrivain évoquait le rapport existant entre son travail d’écriture et son intérêt pour la course à pied.
Courant beaucoup à l’époque, et tâtonnant dans l’écriture, j’avais pris un plaisir fou à parcourir ces pages. Ne courant plus dorénavant, et écrivant consciencieusement et régulièrement, je suis sûr que je le savourerais d’une manière toute différente.

A vrai dire, le titre énigmatique (1Q84) ne faisait qu’amplifier la douce euphorie que suscite l’attente. Il s’agit là d’une référence directe au roman d’Orwell mais aussi d’une ode à l’écriture et à la littérature. La lettre Q renvoie à la question, au questionnement : la raison d’être de tout roman.

Pour avoir parcouru une bonne partie de la production de Murakami, j’étais déjà convaincu que cette trilogie sèmerait le trouble, poserait question et apporterait la nuance ; y compris dans le cœur des purs moments d’émotion.

Par ailleurs, après avoir refermé le premier volet de ce triptyque, il me semble que l’univers murakamien se fait plus réflexif et même, plus politique. Il rejoint en cela l’univers kunderien.
Si Kundera est l’écrivain du geste, Murakami est l’écrivain du corps ; il y a chez le Tchèque les corps qui expriment, qui impriment, il y a chez le Japonais, les corps qui ressentent (souffrance et plus que jamais : jouissance).

Il y a à un moment donné, l'un des personnages de 1Q84 qui déclare ceci. 
Cela m'apparait central.

« Pour l’homme, estimait-elle, le corps était un temple. Quoi qu’on y vénère, il fallait de toute façon le conserver robuste et le plus propre possible. C’était chez elle une conviction inébranlable. »

On peut percevoir ici une philosophie démesurément hygiéniste, mais on peut surtout comprendre le lien fondamental qui existe entre l’activité physique et l’intellect.

Bref, revenons au début.
Le livre 1 de 1Q84 est composé de deux récits parallèles, celui de Tengo (écrivain solitaire entretenant une relation avec une femme mariée de dix ans son aînée) et celui d'Aonamé (jeune femme, émancipée des témoins de Jéhovah, masseuse et au surplus, mystérieuse tueuse d’hommes sadiques).

Il y a tout le long des détails complètement barrés qui rendent les personnages d’autant plus attachants. Tengo a la particularité d’être paralysé par un souvenir qui date de l’âge de ses deux ans où il voit un homme embrasser les seins de la mère qu’il n’a jamais connu, et Aonamé a la particularité de rechercher des hommes aux cheveux clairsemés et fait une fixation érotique sur la forme des cranes de certaines personnes (Sean Connery comme modèle).

Autour de ces deux pôles, gravitent d’autres personnages, l’éditeur Komatsu (impulsif et imperturbable), la policière Ayumi (échangiste et dérangée), et puis, peut être surtout, une figure récurrente dans l’œuvre d’Haruki Murakami : l’adolescente, Fukaéri.

Cette jeune femme de 17 ans va se retrouver un peu malgré elle au centre d’un phénomène éditorial sans précédent. « La chrysalide de l’air », texte dont elle est l’auteur, et réécrit en intégralité par Tengo va se vendre comme des petits pains dans les librairies japonaises.
Malgré sa dyslexie, et son étrange manière de s’exprimer, Fukaéri passera l’épreuve des interviews avec brio. En revanche, très vite, des phénomènes étranges de produisent, et le lien avec le fond du récit apparait assez nettement.

Et puis, on comprend vite qu’il y a une secte derrière tout ça, et que Fukaéri les a fuit.
Ils vivent en communauté pour cultiver des légumes bio. Très vite, ils se scindent en deux groupes, l’un extrêmiste et révolutionnaire (l’Aube), et l’autre, plus modéré (les Précurseurs). L’Aube sera mêlée à une sombre affaire de meurtre de policiers près d’un lac et va vite se disloquer. Subsistent les Précurseurs, complètement cloitrés mais s’étalant irrémédiablement dans tout le pays en faisant diverses acquisitions immobilières.

Fukaéri explique alors à demi-mot que « La chrysalide de l’air » n’a rien d’une invention.
Les menaces apparaissent, les insaisissables Little People jettent le trouble, peut être pas malveillants mais mystérieux tout de même.

1984 est l'année où se déroule une partie de l'histoire. 1Q84 est un ailleurs (parallèle). 
Un endroit où il arrive que des bergers allemands qui aiment les épinards explosent en mille morceaux. Un monde dans lequel en ouvrant à nouveau les yeux, on réalise qu’il y a plusieurs lunes.

« Dans le ciel brillaient deux lunes. Une petite et une grande. Deux lunes se côtoyaient. La grande était la lune de toujours. Presque pleine, de couleur jaune. Mais à coté, il y en avait une autre. Une lune au contour inhabituel. Légèrement déformée. Et d’un vert tendre comme des jeunes mousses. Voilà ce que captait son champ visuel. »

Je suis sur le point d’entamer le livre 2, mais je peux d’ores et déjà vous dire que ce roman de Murakami est merveilleusement inventif.

En un sens, il est le plus extrême, le plus ambitieux.
Le plus loufoque, le plus attachant, le plus émouvant.
Le plus intense.

« Tengo savait que le temps progresse en se déformant. Le temps est uniforme en soi, mais il se transforme et se déforme lorsqu’il est consommé. Il y a des temps incroyablement lourds et longs, d’autres légers et brefs. Et puis il arrive que l’ordre du temps se renverse, que l’avant et l’après se remplacent, et parfois même, au pire, que le temps disparaisse. Il peut aussi s’en rajouter qui n’étaient pas prévus. »

L’homme sans mémoire n’est rien. C’est évident.
Mais si je devais prolonger cette phrase en résumant mes lectures murakamiennes, je dirais que l’homme sans imaginaire n’est pas grand-chose non plus. 


A écouter, le merveilleux morceau de Janacek « Sinfonietta » qui ouvre 1Q84.
En harmonie parfaite avec l’univers onirique de Murakami.

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