Laurent Gaudé - Ouragan (2010)



Quand les écrivains s’emparent de l’Histoire pour concocter une histoire, cela donne souvent des choses intéressantes, et même parfois des instants inoubliables.
Ici, je pense au fabuleux « D’autres vies que la mienne » d’Emmanuel Carrere, évoquant notamment le Tsunami qui avait frappé en 2004 les côtes de l’océan indien.

En 2010, Laurent Gaudé avec « Ouragan » s’attaque à une autre catastrophe naturelle et humaine, l’ouragan Katrina ayant touché la Louisiane et plus particulièrement, la ville de la Nouvelle Orléans, en aout 2005.

Tout d’abord, on peut légitimement se demander ce qui n’a pas été écrit sur cette catastrophe naturelle : Ouragan d’une puissance et d’une étendue rares dans l’histoire des USA, de nombreux quartiers de la Nouvelle Orléans engloutis sous les eaux après que les digues aient cédé, et puis surtout, des secours qui se concentrent sur les populations riches, et laissent dans un premier temps, de coté, les populations pauvres (souvent noires).
Je me souviens effectivement d’avoir vu à l’époque, à la télévision, des images de ce stade dans lequel s’étaient regroupés tous les laissés pour compte.

Laurent Gaudé s’empare de ces faits pour tisser une histoire d’une puissance incroyable.
Ici, nulle place au pathos. Ce qui fait la force de ce roman, à mon avis, tient dans l’empathie que Gaudé ressent pour ces personnages, cela transparait de manière particulièrement bouleversante.
Plus encore, la profondeur des personnages, et des histoires de chacun, est bluffante.
Cela commence par cette scène : Un matin, une femme quasi-centenaire se tient prêt de sa fenêtre et sent clairement vibrer dans l’air, une « odeur de chienne ».

« Dieu sait que j’en ai vue des petites et des vicieuses, mais celle là, j’ai dit, elle dépasse toutes les autres, c’est une sacré garce qui vient et les bayous vont bientôt se mettre à clapoter comme des flaques d’eau à l’approche du train. »

Ici, nous sommes très loin d’une approche journalistique, la fibre romanesque est prégnante dès le début.

Les douloureuses retrouvailles de ce couple séparé par un chaos apparu bien avant Katrina ;
Ses prisonniers en proies dans leurs cellules à la montée des eaux et à leurs propres violences ;
Ce révérend qui déambule dans les rues et dans sa propre folie ;
Cet enfant qui marche obstinément vers un « nulle part »…

Autant de perceptions des choses, très diverses les unes des autres… et qui se croiseront bien évidemment.

En entamant ce roman, je craignais l’approche journalistique, mais ici on est au cœur de ce qui fait de la littérature ce qu’elle est : L’une des voies les plus efficaces pour nous amener au cœur des choses, dans une subjectivité assumée.

Néanmoins, moi qui croyais que Gaudé emporté par son écriture, avait purement et simplement, imaginé ces alligators venant des bayous, envahissant, les rues de la Nouvelle Orléans ; j’ai été quelque peu glacé à l’idée qu’il ne s’agissait pas ici d’une invention.

« D’abord, je n’ai rien remarqué mais il m’a montré des remous de-ci de-là, en trépignant de joie. L’eau bouge. On dirait qu’elle va se lever. Petit à petit, je discerne ce qui grouille à nos pieds : ce sont les alligators. (…) Les grands oiseaux, si élégants, sont réduits à un paquet de chair compacte qui se fait broyer. (…) J’ai les oreilles pleines du bruit sourd des mâchoires qui se referment. J’ai peur que les bêtes, maintenant, ne viennent sur nous. Partout ce n’est que massacre carnassier. Ils broient tout. Plus rien ne subsiste du spectacle lumineux dont nous avons joui quelques instants plus tôt. Tout piaffe et casquette avec terreur. La mort est là. C’est un grand banquet de sang. »

Finalement, on ferme le roman, en comprenant un peu mieux le monde dans lequel nous mettons les pieds chaque jour, ce qui est je crois, l’une des finalités les plus intéressantes de la fiction.


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