Philip Roth - Indignation (octobre 2010) / JM Coetzee - L'été de la vie (aout 2010)

Il y a peu, « L’été de la vie » de John Maxwell Coetzee et « Indignation » de Philip Roth débarquaient sur les étales des bons crémiers. Le premier, largement autobiographique, est d’une brutalité redoutable. Le second, est un formidable roman d’apprentissage sur fond de guerre de Corée.

 
Si la fibre autobiographique est plus prégnante chez le sud africain, elle n’est assurément pas absente dans l’écrit de Roth. Pourtant, il ressort nettement de ces lectures, qu’il ne s’agit là que de fiction, de fiction et rien que de fiction.


Pour résumer, les deux personnages principaux de ces romans (Coetzee lui-même pour «  L’été de la vie » et Marcus Messner pour « Indignation ») sont des « inadaptés de la vie ». Ce faisant, ils se construisent en opposition à elle. 
 
Coetzee progresse non seulement en opposition au régime d’Apartheid, mais aussi plus tard, en confrontation directe avec la « nouvelle Afrique du Sud ».
Marcus Messner quant à lui, qui se retrouve dans une université de l’Ohio, loin de son New Jersey natal, nourrit une  inexpugnable violence à l’égard du fonctionnement de son nouveau campus.
La réaction ambivalente de Marcus, quand une fille du campus décide de lui faire une fellation sans qu’il ne demande rien, est évocatrice des mœurs de l’époque. Dans les années 50, l’Amérique est encore largement puritaine, mais une évolution vers plus de libération sexuelle est en marche, en particulier sur les campus universitaires.
Le mélange de dégout impitoyable et d’attirance indomptable ressenti par Marcus est lui aussi, lourd de sens.

"Je n'arrivais pas non plus à croire qu'(elle) avait fait ce qu'elle avait fait parce qu'elle y trouvait du plaisir. Cette pensée était renversante même pour un garçon ouvert et intelligent comme moi. (...) Non, ce qu'elle avait fait avait dû être causé par une anomalie."

Si le style de Roth reste inégalable, et d’une acuité admirable, le style lapidaire de Coetzee est un véritable choc frontal, où les non-dits jouent un rôle de premier plan.
De plus, la « mise en scène » chez le sud africain est une réussite totale.
L’idée de départ est effectivement formidable : Nous sommes en 2000, Coetzee, prix Nobel de littérature en 2003, est mort. Un biographe cherche alors à rencontrer les personnes qui l’ont côtoyé au cours de son existence (amante, amante supposée, universitaire amante…). De ces rencontres, nait un portrait effacé d’un homme effacé.
En d’autres termes, dans ce montage, JMC ne s’épargne rien, à tel point que s’il n’avait ce talent incroyable pour manier les mots, il s’agirait d’une autoflagellation en bon et due forme.
En effet, les femmes en question décrivent Coetzee comme un piètre professeur d’université, et même pire, comme un pitoyable amant. Un mou du genoux, un vieux gars raté et désœuvré vivant encore avec son père, un peine-à-jouir en quête de virilité… Bref, les charges sont lourdes et même carrément accablantes.

Un homme aigris, et pourtant un formidable styliste.
Un Etat aux paysages fabuleux et l’un des endroits qui fut (et l’est toujours dans une certaine mesure), l’un des plus barbares au monde.
« Ce continent de crève-la-faim sous la houlette de bouffons sanguinaires" (extrait de l’ « été de la vie »).

Coetzee démonte ici l’idée de l’écrivain sociable, et se présente sous une lumière crue, sans ambages. Pourtant, non, ce n’est pas lui qui se présente comme ça, mais plutôt des femmes qui l’ont à peine connu, et qui de plus s’expriment après sa mort…
Que peut-on dire d’une personne après sa mort ? Peut-on en faire un juste portrait sans que celle-ci ne puisse y apporter de modifications ?
JMC a ce don formidable pour semer le trouble dans la tête de ses lecteurs. Ce vertige est secondé par un humour, humour froid et cynique certes, mais humour quand même.

Au final, je me demande si un écrivain qui croit en sa fiction, qui croit aux mérites de celle-ci, n’a-t-il pas peur (surtout âgé de 70 ans), qu’une mort même fictionnelle, finisse par forcer le destin ?

Et donc, en filigrane, les deux écrivains nous mènent à l’interrogation suivante, jusqu’à quel point, le désir ou la crainte de la réalisation d’un évènement, entrainent ils la réalisation de celui-ci ?

Autour de Marcus Messner, dans « Indignation », l’anxiété maladive de son père (boucher kasher dans le New Jersey) plane, constamment. Ce dernier veut le protéger de tout, et la guerre de Corée qui s’annonce ne fait qu’accélérer ce mouvement.
Au fond, nous nous rendons compte très vite, que cette asphyxie paternelle inclinera le destin de Marcus et le fera fuir, vers un ailleurs.
C’est là où la magie de l’écriture de Roth opère de façon admirable, l’inclinaison n’est pas brutale, tout se fait progressivement.
Au passage, si vous avez du temps à consacrer à « Indignation », vous pourrez constatez avec quel brio Philip Roth décrit le métier de boucher.

Finalement, comme dans toute vie, le hasard joue tout de même une grande place, et un choix minime peut alors entrainer la conséquence maximale.



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